Jusqu’au 11 septembre prochain, les photographes se croisent mais ne se ressemblent pas à la Fondation François Schneider de Wattwiller. Et de la même manière que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, comme l’a dit Héraclite, l’eau, toujours changeante, nous promet une visite pleine de contrastes dans la nouvelle exposition proposée par la Fondation. Invités par François Hébel, bien connu des amateurs de photographie puisqu’il a été longtemps le directeur des Rencontres d’Arles, onze photographes et un vidéaste nous convient à suivre leurs regards au fil des eaux. Diversions a rencontré trois de ces derniers, Philippe Chancel, Alain Willaume et Brian Griffin qui illustrent bien cette multiplicité des points de vue, consistant à fixer la réalité bien en face ou proposer au contraire un regard décalé.
Artistes, les photographes sont aussi, souvent, et de bien des manières, témoins du monde qui les entoure. À propos de la série documentaire dont il présente un extrait à la Fondation François Schneider, Philippe Chancel parle d’ailleurs de stigmates. Le projet Data Zone revient en effet sur le drame de Fukushima. « Il y avait quelque chose à en dire en termes de catastrophe naturelle », explique le photographe. « Je voulais me rendre compte par moi-même des réalités d’une catastrophe à la fois écologique, à travers l’idée que la contamination nucléaire pouvait être avérée, et des dégâts causés par les conséquences d’un tremblement de terre et le tsunami qui en a suivi ». Trois mois après le 11 mars 2011, Philippe Chancel s’était rendu sur les lieux du tsunami et de la catastrophe nucléaire, pour suivre un parcours allant de la centrale Daiichi, remontant toute la côte du Toku. Philippe Chancel qualifie lui-même son travail d’engagé, de politique, « sur le terrain du social aussi, sociétal, écologique, économique ». De la Corée du Nord au Delta du Niger, en passant par Kaboul, le photojournaliste traverse le monde, « qui devient de plus en plus virtuel », pour se frotter au réel, « se rendre compte par soi-même d’une situation, des faits, des effets, d’une cause quelle qu’elle soit ». Récemment, Philippe Chancel a débuté une série qui le mène à travers l’Europe. L’infatigable témoin y recherche « les murs qu’on y reconstruit », avant de partir vers les deux pôles, pour ensuite terminer « ce périple de quatorze destinations par les quartiers nord et sud de Marseille ».
Alain Willaume lui aussi voyage, mais pour courir après un ailleurs, ou plutôt des ailleurs. Entre 1991 et 1994, un camion l’a transbahuté dans toute l’Europe. « Je m’étais donné comme but d’aller voir tous les Finistères de l’Europe, toutes les bordures des frontières ». Le photographe parle d’ailleurs d’une « collection de bouts du monde » pour décrire cette série, « que j’ai réunis ensemble pour que ça fasse un pays ». Souvent Alain découvre des lieux solitaires, voire désertiques, qui partagent un point commun. « Ce sont toujours des lieux qui ont été soit occupés par des militaires, ou des endroits un peu mystiques où il y a eu des rituels qui se sont passés là-bas ». Pour aller à l’essentiel, Alain Willaume voyage léger : un unique appareil, une seule pellicule « qui marche avec toutes les lumières possibles ». D’où ce grain omniprésent qui ne découle pas, à l’origine, d’un parti pris esthétique, mais d’une nécessité de traquer la lumière au moyen d’une pellicule très sensible. Ces coins reculés, sauvages, la difficulté d’accès, évitent la photographie gratuite, cette instantanéité de l’image qui sitôt prise, plonge déjà dans l’oubli. Alain Willaume se remémore les premiers mois de son projet, fin 1991, alors que la guerre en ex-Yougoslavie venait d’éclater. Cette menace qui régnait alors en Europe était « très prégnante et dans le camion, on avait juste une petite radio à ondes longues donc on écoutait la BBC, et il y avait toujours ces actualités sur cette guerre, et c’est cela aussi qui a participé à l’ambiance générale du voyage ».
Si certains photographes se confrontent au monde, d’autres choisissent d’y appliquer des filtres divers. Ce peut être le décalage et le second degré de Martin Parr, le parti pris autobiographique de Arno Rafael Minkinnen ou encore les murs d’eau élaborés par Brian Griffin. Pour une commande réalisée en Islande en 2006-2007, auprès de la société Reykjavik Energy, ce dernier s’est inspiré de Jules Verne. « Dans Voyage au centre de la terre, les personnages vont sous la terre et se retrouvent dans une petite île appelée Stromboli en Italie, j’ai visité ce volcan ». Avec sa formation d’ingénieur, Brian n’a pas peur de se frotter à la technique. Dans les années 80, il mettait au point une plaque de verre sur laquelle l’eau tombe très rapidement en cascade. En orientant la plaque, le photographe a la possibilité de régler le débit. Il a photographié les employés de la société Reykjavik Energy derrière ce mur liquide. « J’avais déjà une petite idée de ce que je voulais faire, parce que je me suis marié en Islande et je voulais faire des photographies qui ressemblent à ce qui existe sous la terre ». Brian gardera un bon souvenir de cette exposition alsacienne à Wattwiller. « Je suis ravi d’être ici. Plus on avance dans la fondation, plus on prend conscience de la grandeur du lieu, comme Alice au pays des merveilles… J’aimerais beaucoup qu’il y ait des centres d’art comme celui-ci où je vis ! ».
Exposition Eaux troubles, eaux calmes, Fondation François Schneider, Wattwiller, du 18 juin au 11 septembre 2016
www.fondationfrancoisschneider.org
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Le reportage vidéo de Diversions