Le 23 novembre dernier au Théâtre d’Auxerre débutait la tournée de Kaos, création 2020 de la compagnie Vivre dans le feu. L’adaptation de la pièce de Jean-Pierre Cannet, Yvon Kader, des oreilles à la lune, passera ensuite par Vesoul et Dijon. Rencontre avec Louise Lévêque qui adapte et met en scène le texte.
Comment as-tu choisi de représenter le personnage principal, un enfant trisomique ?
Une de ses grandes difficultés, c’est d’être avec les autres, donc on le représente seul à l’intérieur de sa tête. La scénographie dessine un cercle dans lequel il y a une boîte, boîte à souvenirs mais aussi sa chambre.
Une bulle d’intimité qui ne concerne d’ailleurs pas uniquement les personnes souffrant d’un handicap…
Oui Jean-Pierre Becker (le comédien qui interprète Yvon Kader, NDLR) dit qu’on est tous passés pas très loin. Cette erreur chromosomique, c’est rien ! Et on a tous cette difficulté à communiquer. Le handicap fait que c’est structurel, que c’est toute la vie, mais ça n’empêche
pas l’universalité de cette difficulté d’être au monde.
Est-ce pour cela que tu sembles ne pas vouloir réduire la pièce au handicap ?
Le personnage se sent profondément différent. Tout l’enjeu pour lui est de se dire : « Comment je fais pour être au monde, exister », en sachant qu’il a la sensation très forte qu’il ne devrait pas être là. C’est un sentiment fort au moment de l’adolescence, ce moment de transition où on se sent tellement à côté de ses pompes ! Vivre avec les autres, ce n’est pas si simple. On a choisi de raconter ça de façon plus générale. On ne parle pas tant de la maladie que de comment on se dépatouille quand on est à ce point différent.
La dizaine de personnages dans la pièce d’origine est ici réduite à un seul comédien. Cette contrainte s’est finalement avérée stimulante…
Il y avait des conditions techniques qui faisaient qu’on ne pouvait pas avoir dix comédiens sur scène. C’était intéressant: il a fallu que je trouve des solutions avec ce que je savais faire, et notamment ce qui était déjà présent dans L’Appel de la forêt et dans mon travail en général: la présence de la musique concrète qui permet de stimuler l’imaginaire des spectateurs, des sons qui rappellent le quotidien, qui ont la capacité à mettre en scène, proposer des espaces.
Tu vas d’ailleurs installer un dispositif sonore, un acousmonium…
Les souvenirs d’Yvon Kader se déploient: qui il est, ce qu’il a vécu, les moments difficiles. Pour représenter la mémoire, il y a cette musique concrète composée de bouts de paroles, des choses qu’on lui a dites, toutes ces voix dans lesquelles on baigne dans la société, mais aussi de la musique ou des sons qui vont marquer ses sensations, ses émotions. Cela nous aide à rentrer encore plus dans la tête de ce personnage. Alors que sa maladie fait qu’il n’a pas normalement la capacité de s’exprimer de cette façon.
Yvon Kader déploie un monde finalement très poétique !
Le monde extérieur est très violent, c’est comme un mur, et cet enfant passe son temps à se cogner dans le mur qui est plus solide que lui. Mais il a une puissance de vie qui fait qu’il n’abandonne pas. J’ai pas mal travaillé sur la question du sublime, les liens entre le désastre et la beauté. Certes la société est très dure, mais lui sublime les choses en permanence. C’est vraiment sa capacité à faire de sa vie un poème, douloureux, mais un poème.
Propos recueillis par Dominique Demangeot
Kaos, Vesoul, Théâtre Edwige Feuillère : https://www.theatre-edwige-feuillere.fr/spectacles-saison-21-22/evenement/378-kaos.html
14 décembre à 19h, Dijon, La Minoterie, 14 janvier à 19h :
https://www.laminoterie-jeunepublic.fr/evenement/kaos?date=0