En janvier dernier, le Granit programmait une création de la compagnie Ex Voto à la Lune. Mise en scène par Emilie Anna Maillet, Kant est une adaptation d’un texte de Jon Fosse qui nous présente un jeune garçon en proie aux grandes questions des origines, de la vie et de la mort. Une proposition « transmédia » sur le plateau du Granit, première concrétisation du dispositif L-EST.
Le Laboratoire Européen Spectacle vivant et Transmédia est une initiative qui réunit depuis plus de trois ans le Granit, scène nationale de Belfort, MA, scène nationale du Pays de Montbéliard ainsi que le Centre chorégraphique national de Franche-Comté à Belfort, Viadanse. Plusieurs appels d’offre ont ainsi été lancés à des compagnies souhaitant travailler dans le domaine du transmédia, qui consiste à développer, en partant d’une seule et même histoire, des supports narratifs prenant des formes diverses. Dans le cas de Kant, Emilie Anna Maillet a choisi d’adapter le texte de Jon Fosse sous trois formes, pièce traditionnelle sur un plateau, réalité virtuelle et parcours basé sur des QR Codes.
Pièce « traditionnelle » n’est cependant pas le terme approprié pour parler de Kant ! Et même si la technologie n’est qu’un moyen pour la metteur en scène de proposer sa vision de la pièce, il est à noter que les nouvelles technologies, la vidéo et les hologrammes, nous transportent dans un univers sens dessus dessous, au sein duquel nos repères sont bousculés. C’est d’ailleurs le propre de cette pièce que de plonger le jeune personnage dans un abyme de questionnements. « Pour grandir il faut accepter le doute, et accepter qu’on ne sache pas », souligne Emilie Anna Maillet. Kant est ainsi un récit initiatique, tournant autour du doute existentiel posé à chaque être humain dès son plus jeune âge. Un questionnement qui met aussi en cause sa propre identité. C’est le point de vue de l’enfant qui est adopté ici, l’enfant qui n’est pas d’accord avec les réponses du père et veut faire sa propre expérience. C’est par un certain conflit avec l’autorité paternelle que le jeune Kristoffer va finalement se construire.
Émilie Anna Maillet a souhaité travailler sur un mode impressionniste, toucher parfois à l’inconscient du spectateur, « un peu comme quand on va voir une exposition, on ne se demande pas ce que ça veut dire, on va recevoir des impressions ». Au Granit, la compagnie Ex Voto à la Lune est venue travailler le module La chambre de Kristoffer, installation qui plonge le spectateur dans l’univers de la pièce. Muni d’un casque de vision augmentée et d’une manette, ce dernier se déplace dans le cosmos que l’on a pu découvrir dans le spectacle. Manière de prolonger le voyage, mais aussi d’éprouver le vertige du jeune garçon. « C’est le même vertige philosophique que se pose l’enfant ». De la même manière dans le spectacle, les points de vue changent. « L’enfant se pose la question de la limite et du bord. On est bien sur une question géométrique de l’espace ».
On comprend bien ici tout l’intérêt du transmédia pour les artistes, qui ont la possibilité d’explorer différentes facettes d’un sujet. Le parcours QR Code donne quant à lui 54 réponses possibles sur la question de l’existence. Que faisons-nous sur cette terre et surtout, pourquoi nous trouvons-nous sur cette drôle de planète bleue ? « Il y a des extraits de la Bible, du Coran, des versions complètement farfelues. Ce sont des questions qui viennent de toutes les cultures, toutes les civilisations », précise Emilie Anna Maillet. La même sensation d’infini se fait sentir avec les projets transmédia. « On peut trouver aussi des formes d’interaction avec le public, de modification du scénario à travers l‘interaction avec le public », explique Thierry Vautherot, directeur du Granit. La dimension européenne est également importante. « On est au tout début du transmédia, et il faut aller très loin pour trouver des partenaires qui travaillent dans le même sens. On a déjà travaillé aussi, dans des appels à projets, avec des Américains ». Le dispositif L-EST se poursuit bien sûr, et si 70 compagnies ont répondu au premier appel d’offre, ce sont 150 qui ont été intéressées par le deuxième, entre France, Europe et États-Unis.
– Dominique Demangeot –
Plus d’informations sur les projets de L-EST : www.facebook.com/LaboEST