Elle fait partie des sept lauréats 2015 du concours des Talents Contemporains, à voir en ce moment à la Fondation François Schneider de Wattwiller. L’artiste vidéaste Rebecca Digne a évoqué avec Diversions son travail, sa manière d’aborder le médium vidéo, ainsi que les thèmes qui lui sont chers, et notamment le nomadisme et le climat.
Comment qualifieriez-vous votre travail ?
Je suis une artiste vidéaste, je fais des films, des installations de photographies, de vidéos. La pièce que je présente ici, acquise par la Fondation François Schneider s’appelle Climats. C’est une vidéo que j’ai réalisée dans mon atelier autour d’un voyage au Japon. Pendant ce voyage j’ai vécu dans une maison traditionnelle où finalement l’espace intime, celui de l’intérieur d’une maison, et l’extérieur devenaient très poreux. À l’intérieur d’une maison traditionnelle, on a froid comme si on était dehors, on sent l’odeur de la pluie. Il y a ce rapport très imprégnant, très intime avec le climat. Ça me paraissait important de penser à ce sujet-là, de le transformer et d’en créer une œuvre parce que c’est aussi un sujet d’actualité. Le climat change, on en est conscients. C’est une épreuve collective mais aussi des questionnements individuels sur notre comportement.
Techniquement, comment cette pièce a-t-elle été créée ?
J’ai créé une maquette dans mon atelier. Dans cette maquette, divers climats sont traversés avec les températures de couleur qui évoquent un changement de climat : le bleu qui est assez froid, qui peut être aussi la nuit, de l’orange très chaud, un jaune plus clair, plus doux. Ces couleurs sont traversées par différents états qui sont ceux de la sècheresse et de la pluie.
L’œuvre Climats semble vous placer à la croisée entre l’art vidéo et les arts plastiques.
Le fait de pouvoir faire une maquette c’est aussi un geste, un geste d’artiste, c’est-à-dire qu’on crée une œuvre. Cela permet de positionner aussi l’artiste vidéo non seulement comme un faiseur d’images en mouvement, comme un cinéaste, ou au contraire de se dire qu’on est aussi des ouvriers, des plasticiens. C’est important pour moi dans cette pièce-là parce que tout est fabriqué main. Rien n’est fait après sur ordinateur.
Comment traitez-vous la question temporelle ?
La pièce est construite de manière telle qu’on ne sait pas quand ça commence ou quand ça finit. C’est une pièce qui dure quatre minutes mais elle pourrait durer dix, vingt minutes car il n’y a pas vraiment de début. Ce qui est important pour moi c’est pouvoir inviter un regardeur à se positionner de la façon dont il veut, qu’il ne se dise pas « j’ai raté le début » ou « j’ai raté la fin », qu’il rentre dans un territoire. Je questionne la vidéo comme un territoire de culture, de peinture, de cinéma, de performance, du geste, et je pose la question : « Est-ce que regarder n’est pas un geste lui aussi ? ».
Climats tient-il une place particulière dans votre parcours ?
Cette pièce était importante pour moi parce qu’elle m’a permis de me rendre compte que je pouvais gérer toute la production d’un film par moi-même, de la construction de la maquette jusqu’au tournage, au montage, et en me rendant compte finalement qu’on peut créer un territoire plastique aussi à travers la vidéo. Ce n’est pas seulement un terrain où l’on attend quelque chose de la narration. On est vraiment dans le plastique et aujourd’hui ça m’intéresse de questionner la vidéo comme un objet d’art, et pas comme un objet de cinéma.
L’un de vos thèmes de prédilection, le nomadisme, découle directement de votre expérience personnelle…
J’ai grandi en Italie. Je suis arrivée en France et je ne parlais pas bien le français, c’était difficile pour moi de m’intégrer dans une société dont la culture m’était assez éloignée, parce que même si on est voisins, l’Italie et la France sont assez différentes. Donc assez rapidement cela m’a menée à partir, et à 17 ans je suis partie dans le cirque. J’ai travaillé avec Victoria Chaplin, qui était la fille de Charlot, et avec elle j’ai pu apprendre à travailler, à construire des maquettes, élaborer des projets, créer des costumes. Le cirque n’est pas un lieu fixe donc j’ai commencé à m’interroger sur les questions d’exil et de nomadisme. Cette expérience-là m’a nourrie mais a été aussi une épreuve parce que quand on déménage tout le temps on perd ses amis, on se détache peu à peu de la réalité. À chaque fois on doit la réinventer. Après j’ai fait une école de cinéma et par la suite les Beaux-Arts de Paris où j’ai commencé à me rendre compte que je pouvais voyager, non plus seulement physiquement mais aussi à travers mes pièces, qui pouvaient habiter à chaque fois les questionnements qui me préoccupent aujourd’hui, et qui j’espère s’élargiront sur le monde qui nous entoure, sur notre place et sur ce qu’on peut faire de bien.
Quel matériel utilisez-vous ?
J’utilise la vidéo, le super 8 et le 16mm. On ne filme pas de la même façon en super 8, on ne filme pas de la même façon en 16mm parce que l’outil change et quand l’outil change, la matière change. C’est comme un sculpteur qui travaille sur le marbre ou sur la céramique, c’est très différent. C’est aussi pour ça que je suis convaincue que l’image en mouvement est une matière, et puis petit à petit sur certains projets je peux développer un travail de photographie ou un travail de sculpture. Par exemple Climats est une sculpture à la base, car c’est une maquette que j’ai faite, une table que j’ai construite, tout ça se positionne et se réinvente à chaque fois en tout cas.
Propos recueillis par Caroline Vo Minh
Talents Contemporains – Exposition 2017 – Fondation François Schneider, Wattwiller, du 29 avril au 10 septembre
www.fondationfrancoisschneider.org