> Article publié à l’origine dans l’édition de février 2017 du journal Diversions (consulter le PDF ici)
Stanislas Nordey met en scène sa nouvelle création, Erich von Stroheim au Théâtre National de Strasbourg. Un texte de Christophe Pellet publié en 2006 qui dépeint un trio amoureux, L’UN, ELLE et L’AUTRE. Une exploration de l’amour et de la sexualité, mais aussi un questionnement sur l’image et ses effets sur les individus qui font face à leurs identités fluctuantes.
ELLE est une femme d’affaires engagée dans une relation avec deux hommes, L’UN acteur pornographique en fin de carrière. L’AUTRE, plus jeune et sans emploi. Christophe Pellet a souhaité placer la pièce sous le patronnage d’Erich von Stroheim – même si ce dernier n’y apparait pas -, qui représente pour l’auteur « le génie pornocrate brisé, l’affirmation de soi poussée jusqu’au sublime, où les frontières entre réel et fiction sont abolies ». L’acteur et réalisateur autrichien, célèbre notamment pour son interprétation d’un officier allemand dans La Grande Illusion de Jean Renoir en 1937, est une figure éminemment moderne selon Christophe Pellet, en vertu de son indépendance, son extravagance défiant les normes et cette volonté farouche de faire transparaitre sur la pellicule les travers de ses contemporains. Dans la pièce, le trio ne se situe pas lui non plus dans ces standards que la société semble vouloir nous imposer. « Erich von Stroheim a lui aussi été rattrapé par le « groupe humain », la société humaine – plus que par le réel qui, il me semble, nous laisse libres de tous les possibles, même s’il nous met des bâtons dans les roues et qu’il a le dernier mot, du moins nous permet-il de nous dépasser : dès lors naissent toutes les tentatives artistiques », souligne l’auteur.
« Ce qui est étonnant, c’est sa capacité à saisir notre époque », fait remarquer Stanislas Nordey au sujet de Christophe Pellet, qui met donc en scène le « presque rien » des textes de l’auteur, qu’il qualifie de ténus tout en nécessitant cependant « un travail d’horlogerie pour faire apparaître tout ce qu’elle recèle ». Autour d’Emmanuelle Béart, des acteurs d’âges différents et complices de Stanislas Nordey incarnent L’AUTRE – Thomas Gonzalez que l’on a vu récemment dans Je suis Fassbinder – et L’UN joué en alternance par Laurent Sauvage et Victor de Oliveira, vu dans Incendies. Pour la première fois, le directeur du TNS met en scène une troupe réduite au plateau, un trio complexe où la question du genre et ses frontières poreuses est notamment évoquée. « Cela pose la question du féminin/masculin qu’il y a en chacun d’eux ». C’est cependant le mécanisme du désir qui est avant tout abordé dans Erich von Stroheim avec ces trois personnages que l’on découvre à des moments charnières de leurs existences, ELLE et L’UN à l’orée de la cinquantaine, accomplis professionnellement et socialement, mais pourtant désorientés, peu confiants dans l’avenir, L’AUTRE « dans une précarité affirmée, assumée. C’est ce choix de vie qui renvoie au titre Erich von Stroheim – c’est-à-dire à un endroit d’indétermination ou d’imposture », explique Stanislas Nordey. Pour évoquer la question du regard très présente également dans le texte, mais un regard qui est davantage celui de l’œil humain que de la caméra de cinéma selon le directeur du TNS, la vidéo sera utilisée mais « à la périphérie » comme le dit encore le metteur en scène, qui aborde avec Erich von Stroheim un autre type de théâtre, bien différent de ce qu’il avait proposé avec Je suis Fassbinder et Incendies. « Je suis face à une forme qui m’est totalement inédite. Je suis donc, à un endroit où je peux me casser la figure. Ça m’est essentiel, d’être toujours dans un espace d’inconfort ».
L’image est aussi l’une des dimensions du texte de Christophe Pellet qui a interpelé Emmanuelle Béart. « L’idée d’image est omniprésente : image de soi, image que les autres renvoient de soi, image qu’on a des autres, présence des écrans pour se parler, se filmer, se fantasmer », confie la comédienne. L’image et ses implications sur l’identité, ce qu’on montre de soi, ce que l’on nous montre de nous. « Cette capacité de fuir, cette dangerosité liée à la possibilité de se construire autrement est un des sujets de la pièce » dit encore Emmanuelle Béart. « Je trouve que Christophe Pellet a saisi une chose vraiment symbolique de notre époque: la difficulté de s’ancrer dans la réalité, à l’identifier même ».
– Marc Vincent –
Erich von Stroheim, Théâtre National
de Strasbourg, du 31 janvier au 15 février
www.tns.fr