L’un des enjeux du projet artistique du TDB tourne autour des écritures théâtrales contemporaines, mises en lumière en décembre 2023 lors de deux premières journées qui avaient mêlé rencontres, lectures et masterclasses. Un coup d’essai transformé avec une semaine complète en décembre 2024. Nouveau volet conviant plusieurs auteurs et autrices (Hakim Bah, Claire Barrabès, Héloïse Desrivières, Karima El Kharraze, Thibault Fayner) afin de tenter de répondre à la question (ambitieuse) : que peut la littérature ? Tous les rendez-vous se tiennent cette année à la salle Fornier et sont ouverts au public (entrée libre sur réservation). Diversions a rencontré Kevin Keiss, auteur dramaturge associé au projet du TDB, qui nous parle de ce chapitre II.
Ce théâtre « qui traverse l’époque », comme le dit Kevin Keiss sera une nouvelle fois évoqué lors de plusieurs moments, dont un Lundi en coulisses le 2 décembre, dispositif porté par la cie La Dame du Premier invitant un auteur ou une autrice d’aujourd’hui. Hakim Bah parlera de ses textes et de son travail d’auteur, tandis que comédiens et comédiennes liront des extraits de ses textes. Le 2 décembre toujours, une mise en voix par des élèves du conservatoire du texte Fragile armure de Karima El Kharraze sera effectuée le soir à 19h30. « Comme l’année dernière, mon but était aussi que se croisent au TDB des générations différentes. Donc seront présents les élèves Troisième Cycle et COP du Conservatoire de Dijon, mais aussi les étudiants en écriture Master 1 et 2 de l’université de Bourgogne. » Karima El Kharraze mènera une masterclasse auprès des Masters 1 et 2. « Son projet d’écriture rentre aussi en résonance avec les lignes de recherche de notre projet au TDB, réinventer les frontières, à la fois sensibles, géographiques, linguistiques, puisqu’elle travaille aussi beaucoup en Français et en Arabe-Marocain. » L’occasion de rappeler également que des formations pour apprendre à écrire le théâtre commencent à s’ouvrir en France.
La Semaine des écritures contemporaines proposera de nouveaux rendez-vous à l’image d’un jeu de questions-réponses le 5 décembre à 19h30 entre auteurs et autrices en résidence, pour évoquer leur rapport à l’écriture, ainsi que des temps de lecture. Autre nouveauté : Préambules le 6 décembre à 19h30, première mise en voix en public, sous la direction d’Anne Monfort, du texte Entre s’en foutre et en crever de Claire Barrabès, déjà présente à la Semaine des écritures contemporaines l’an dernier. Si l’on pourrait penser que cette semaine s’adresse avant tout à des professionnels du théâtre, elle sera au contraire ouverte, sur tous ses rendez-vous, au grand public. « On peut rendre ça plus concret aussi pour les spectateurs et les spectatrices, parce que c’est parfois difficile de se demander comment lire du théâtre contemporain, comment l’acheter, pourquoi venir en voir , explique Kevin Keiss. Les 6 et 7 décembre, ce dernier ira d’ailleurs à la rencontre des spectateurs et spectatrices. « Il s’agit de me rencontrer moi dans un premier temps, je leur demande de me parler d’un choc de beauté ! Une œuvre qu’ils auraient vue : un tableau, une chanson, une pièce de théâtre, un concert, quelque chose qui les a marqué. C’est l’émotion que quelqu’un a à raconter quelque chose qui va primer. C’était aussi intéressant, face à la violence de l’époque, de trouver quels antidotes on peut se construire ». Suite à ces entretiens (individuels), Kevin va écrire des textes. « Ce qui est assez beau c’est de pouvoir sublimer la parole orale, lui trouver un rythme. Ce que la littérature appelle le style. On peut raconter la même histoire de dix manières différentes, après c’est le style qui fait bouger l’histoire, qui la rend forte, émouvante, sensible, au-delà de ses éléments caractéristiques. »
Une autre problématique abordée l’an passé fut celle du répertoire, tel qu’on le considère notamment dans l’enseignement, « une chose réalisée qui a été validée, éditée, donc d’une certaine manière qui est figée et qui serait apparue comme par miracle, par le génie littéraire », expliquait l’an dernier Clément Scotto di Clemente, enseignant-chercheur à l’Université de Dijon. « Pour moi c’était fondamental de se dire qu’on peut raconter pour les générations d’aujourd’hui des histoires au prises avec les grandes questions du présent. Pour parler d’amour, on ne va pas continuer à se référer uniquement à Molière et Marivaux », observe Kevin Keiss. « Et évidemment la période géopolitique puissamment troublée qu’on traverse, appelle aussi à ce qu’on puisse s’emparer des questions d’aujourd’hui. » Le théâtre documentaire fut notamment évoqué, une pratique aujourd’hui pleinement assumée, comme l’indiquait l’enseignant-chercheur, « en faisant venir des fragments du réel sur la scène : le texte mais aussi des films, enregistrements ». Une parole théâtrale, inspirée de notre époque, « beaucoup plus proche de notre façon de parler dans le réel, sans dénaturer la musicalité orale ». En février prochain au TDB, on aura un bel exemple de théâtre documentaire avec Elles avant nous, de Leyla-Claire Rabih.
« De la même manière qu’Émile Zola, pour écrire Le ventre de Paris, faisait des enquêtes pendant des semaines dans les Halles, le théâtre et l’enquête ça fonctionne ensemble depuis longtemps aussi », explique Kevin Keiss. « Et ce qui change depuis quelques années, c’est qu’on se pose sur scène la question des représentations de corps, de voix et de voies, d’êtres qui ne seraient pas assez représentés sur les plateaux, et c’est aussi une question qui s’est beaucoup ouverte dans les écoles de théâtre, notamment au TnS, au Conservatoire national avec l’arrivée de l’ancienne directrice, Claire Lasne. Il y a effectivement une partie du théâtre documentaire aujourd’hui qui s’empare de ces questions-là. Pour nous au TDB, ça n’en efface pas moins la question de l’écriture et de la fiction, parce que recueillir des témoignages comme le fait Leïla, ou s’entretenir avec des personnes, c’est aussi un travail de sélection, de montage. Qu’est-ce qu’on met devant, qu’est-ce qu’on met après, comment on ouvre la pièce, comment on la clôture… et tout ça, ce qu’on peut appeler le travail de structuration du sens, c’est de l’écriture aussi. »
Propos recueillis par Dominique Demangeot
Photos : Diversions
Semaine des écritures contemporaines, du 2 au 7 décembre
Pour tous les événements, entrée libre sur réservation : www.tdb-cdn.com/fr/la-semaine-des-ecritures-contemporaines