On a failli passer à côté…
Avec les conditions météorologiques douteuses que connait la Franche-Comté depuis quelques semaines, flâner en pleine forêt pour le public, tout comme exposer des œuvres entre l’humus du sol et la cime des arbres pour les artistes, peut relever de la gageure lorsque le ciel se décide à lâcher ses grandes eaux. Heureusement un chaman bien inspiré ou une divinité sylvestre d’Amazone ou d’Europe, adepte d’art contemporain – ou d’art tout court -, a bien voulu chasser les nuages au-dessus de la forêt de Chaux en cette fin de journée du 25 juin 2016. Back To The Trees troisième édition a bien eu lieu, conviant près de 80 artistes de tous poils pour une soirée et une nuit sous le signe de la création. Avant un compte-rendu vidéo qui devrait arriver prochainement, Diversions vous livre à chaud quelques impressions d’une virée en forêt jurassienne.
L’installation qui accueillait le public aux Baraques du 14, à la Vieille-Loye, a donc bien failli s’avérer prémonitoire. Mais la vague de rondins édifiée par José Le Piez à l’entrée du site, dangereusement baptisée Tsunami, a finalement fait office de totem protecteur. La baleine conçue par Corinne Forsans, échouée un peu plus loin, a titillé quant à elle notre conscience écologique.
Quoi de plus normal, me direz-vous, dans un environnement tel que la Forêt de Chaux, qui accueille toute l’année le public, pour un retour à la nature et aux traditions, à l’image des membres du groupe Carbone 14, ravis d’expliquer aux jeunes et aux moins jeunes en quoi consistait l’art des bûcherons charbonniers. Back To The Trees demeure une belle aventure collective, préparée toute l’année par les équipes de la Saline royale d’Arc-et-Senans, l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon Franche-Comté, l’Association des Villages de la Forêt de Chaux ainsi que l’association Elektrophonie. Lionel Viard, responsable des programmes culturels de la Saline royale et Laurent Devèze, directeur de l’ISBA, ont bâti une programmation dense comme une forêt d’Amazonie, et pour tout vous dire, l’équipe de Diversions a manqué plein de choses… mais peu importe ! L’essentiel est ailleurs, dans le plaisir avant tout de se déconnecter du brouhaha du monde, pour partir à la rencontre d’autres images, d’autres sons.
Parlons-en des sons, ou plutôt écoutons-les. Écoutons frémir les feuilles des arbres et craquer le sol sous nos pieds. Aurélien Bertini et Quentin Mercier ont mis au point un dispositif amplifiant les rumeurs de la forêt. Le visiteur avait aussi la possibilité de dire quelques mots au micro, pour que sa voix parte rejoindre, plus tard, le cortège des bruits de la nuit. La voix au chapitre, beaucoup d’artistes l’ont eue hier soir. Il y eut les contes d’Alain Goy à l’ombre bienveillante du Chêne à Vœux et ceux de François Place. Il y eut des bribes du féérique Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Jacopo Baboni Schilingi capturant le souffle de la forêt (ou, dit plus prosaïquement, le vent qui la traverse) pour le transformer en musique. Il y eut les nappes sonores du duo Steelh, entre électronique et acoustique, qui prirent une coloration particulière au milieu des arbres. Car étrangement, loin (très loin) du velours des auditoriums et de l’asepsie des white cubes, Back To The Trees propose au visiteur, au curieux ou à l’esthète, une qualité d’écoute particulière. L’endroit idéal, en somme, pour se mettre sous la dent quelques conférences, célébrer avec Laurent Devèze les 80 ans d’Acéphale, revue fondée par Bataille et quelques autres à une époque, pas si éloignée de la nôtre, où les fascismes de tous bords mettaient le feu à l’Europe. Ca vous rappelle quelque chose ? L’histoire bégaie, souvent. On nous offrit aussi l’opportunité de nous mettre en quête du Nombre d’Or en partant d’un pin. En bref, prendre des chemins sans toujours savoir où l’on va aboutir.
Lever la tête et découvrir un ciel de poupées vaudou percées de part en part des clous de Ghislaine Ycossié, puis trouver le recueillement un peu plus loin, dans une cabane mise en place en collaboration avec la Maison de l’Architecture, habitée par une création sonore de Chloé Truchon. Contempler l’installation d’Habdaphaï, que nous filmions trois jours auparavant à l’ISBA, s’animer d’une vie nouvelle parmi les feuilles et les branchages, avant de tomber, par hasard, sur une étrange et belle procession qui reproduisait le parcours d’Œdipe et Antigone quittant l’antique cité de Thèbes pour se retrouver au milieu des arbres. En forêt de Chaux, il faut prendre soin de garder ses sens en éveil, ou de laisser venir, comme disait Bashung. Il faut chercher dans les miroirs de Patricia Chatelain son propre reflet ou celui de la forêt environnante, guetter les silhouettes, guetter les lueurs et comme Alice, passer de l’autre côté du miroir.
Vous (re)venez l’année prochaine ?
Dominique Demangeot