Cela devient une habitude. Chaque passage du Valentinois dans notre région nous donne l’occasion d’une rencontre toujours passionnante, où l’on sort rapidement de l’interview pure pour entrer dans une conversation autour de la musique avec un artiste qui d’album en album nous éblouit, au moyen d’un songwriting toujours parfait et sans faute.
Cette fois, c’est en pleine campagne haute-saônoise lors de son passage à l’Echo System de Scey-Sur-Saône que l’on s’est donné rendez-vous. Après un intermède vinicole, on reprend alors la discussion avec Renaud Brustlein là où elle s’était arrêtée il y a deux ans pour parler de son dernier né Kid We Own The Summer.
Diversions : Quand on s’est vus il y a deux ans à la sortie de Night Moves, tu nous avouais ne pas vouloir suivre les modes. On a l’impression qu’avec Kid We Own The Summer cela va encore plus loin. Non seulement il tranche musicalement avec ses nouveaux sons synthétiques, mais aussi il semble que tu en as fini avec ton trip nineties.
Renaud Brustlein : Oui pour l’instant, je ne suis pas à l’abri d’y revenir. Mais je pense que je suis allé au bout de quelque chose, d’une période californienne. Off The Map et Night Moves était un diptyque qui fonctionnait pas mal. Mais je voulais passer d’un truc très produit, très arrangé à autre chose. J’ai fait un travail sur la voix, j’ai voulu chanter à l’oreille des gens, pour être plus dans l’intimité avec des histoires plus personnelles.
D: Justement, il y a toujours un point de départ pour tes albums. La cartographie pour Off The Map, les catastrophes naturelles pour Night Moves. Pour KWOTS, j’ai l’impression que cette inspiration est beaucoup plus personnelle.
RB : Oui absolument : c’est les difficultés relationnelles, la fin de l’adolescence, le passage à l’âge adulte et les responsabilités qui vont avec, qu’on accepte ou qu’on n’accepte pas. Je sais que c’est un peu tard pour moi pour faire une crise d’ado…
D : On pense clairement à une B.O de teen movie…
RB : En fait je me suis plongé dans tous les teenage movies mythiques, j’ai revu tous les John Hughes. C’est des codes et un univers que j’adore, une espèce de bulle, et j’ai eu l’impression que ma vie est un teenage movie depuis tout le temps.
D : Je pensais aussi à Twin Peaks. On trouve des passages de l’album très lynchien.
RB : C’est l’idée. Et au moment de mixer l’album, je me suis fait toute la côte ouest des États-Unis. Je suis allé à TwinPeaks sur tous les lieux de tournage. Donc j’étais en plein dedans, entre le film et la réalité. C’est de là que vient le côté cinématographique de l’album.
D : Justement, on disait qu’il était lynchien. Et par rapport aux précédents albums, les ambiances sont plus travaillées. La production aussi a été différente. Tu l’as écrit ici, enregistré ici pour juste faire le mixage chez Rob Schnapf, alors que Night Moves a quasiment été écrit en Californie. Pourquoi cette envie de changer ?
RB : Là on se connaissait bien et j’avais envie de le faire un peu dans le prolongement de ma chambre à coucher. On l’a fait dans le studio du père de notre batteur en Auvergne, où ont été faits tous les albums de Murat notamment. On avait l’occasion de passer un mois dans le studio, totalement en immersion. Et comme c’est un peu la famille, j’avais l’impression d’avoir un studio à disposition dans mon salon. Mais je voulais malgré tout garder la couleur L.A., le son de Schnapf mais en ayant le temps de le faire à l’intime, chose impossible en Californie car on est toujours pressé par le temps là-bas. À un moment il était même question que Rob vienne faire le disque en France, on avait dans l’idée de faire un peu comme un échange culturel, comme avec un correspondant. Malheureusement, il est tombé assez sérieusement malade et donc ne pouvait plus voyager. Ça va mieux heureusement mais cela n’a pas pu se faire comme prévu. Je suis donc retourné là-bas, cela m’a permis d’aller au bout de mon trip West Coast.
D : Les arrangements aussi sont plus fins, chaque écoute dévoile quelque chose de nouveau, un son de guitare, des cordes…
RB : On a fait en sorte qu’il y ait des couches, que comme dans certains teen movies, il y ait plusieurs niveaux de lecture. Que tu prennes soit au premier degré et divertissant, soit que tu ailles y chercher des choses plus graves. On a donc voulu faire un disque à tiroirs, faire en sorte que l’écoute au casque ou dans son salon ou dans la voiture ne soit pas la même, qu’on découvre un clavier ici alors qu’on ne l’avait pas entendu là. Ouais, on s’est fait chier quand même [rires].
D : On sent toujours des influences sur l’album. Je pense à Springsteen sur This Kind Of Fire. Qu’est-ce que tu écoutais pendant l’écriture de KWOTS ?
RB : J’étais effectivement dans une grosse phase Springsteen. Je l’ai vu deux fois pour la tournée des 35 ans de The River. Cet album, je l’ai redécouvert complètement. Avant je le trouvais un peu trop fleuve, ça partait dans tous les sens, je trouvais la prod’ ratée. Et de le revoir en live, je me le suis repris en pleine gueule. En plus, c’était au moment de son autobiographie. Donc j’étais vraiment en plein dedans. J’ai aussi beaucoup écouté Lou Reed et le dernier Kurt Vile qu’il a fait chez Rob Schnapf justement. Il a réussi à faire un truc moderne avec de l’ancien.
Et aussi j’avais en tête le côté L.A., Angelo Badalamenti dans l’apport des claviers en nappe, déjà présents sur Night Moves mais qui est encore plus assumé sur celui-là. C’est un véritable album de claviers.
D : Il y a aussi des boucles…
RB : Oui, on a mis des boites à rythme. En fait, on avait un peu le musée du vintage à disposition pendant un mois, alors forcément tu expérimentes.
D : On disait auparavant que KWOTS faisait très B.O.. Tu ne te verrais pas un jour faire une musique de film ?
RB : Bien sûr. Je suis hyper ouvert à ça. J’aimerais bien un jour ne pas faire un disque pendant trois ans et faire des musiques de film, histoire de respirer un coup. Enfin, je te dis ça et en même temps j’ai la moitié de mon prochain disque qui est déjà composée.
D : C’est un besoin pour toi, de ne pas te relâcher, de toujours rester dedans ?
RB : En fait, j’ai une dynamique en ce moment. Cet album a trouvé son public, le précédent a bien marché. Je suis allé au bout d’un truc aussi et ça ne tient pas à grand chose des fois. J’ai des guitares d’une marque sponsor à la maison en ce moment et de les voir, ça me donne envie de composer plutôt que de prendre le temps de me faire un ciné. Et je suis dans une période faste d’inspiration alors je ne vais pas faire une pause pour faire une pause quand il y a toujours matière à faire.
D : A l’époque, quand tu revenais de chez Albini, on se demandait si l’association à son nom allait t’aider à tourner à l’étranger. Ensuite celui de Schnapf. Mais finalement, tu ne tournes qu’en France, et même les pays frontaliers sont rares.
RB : Oui, il y a la Suisse, on a fait un peu d’Allemagne. On va en Belgique à la rentrée. Mais on va aller au Québec où le disque va sortir avec une vraie promo. Déjà là ça va être un vrai combat. Après on peut y aller à la roots, y mettre nos économies et faire quinze dates aux États-Unis et se dire « ouais c’était cool ». Ou alors on se dit qu’on n’a pas vingt ans et qu’on n’a pas 15 000 $ à mettre pour aller jouer dans des bars à moitié pleins et faire douze heures de route par jour. Je ne suis pas dans ce truc de faire une carrière à l’international. C’est compliqué pour des Français qui font notre style de musique anglo-saxonne d’y arriver. Ce qui marche c’est les trucs à tendance électro. Notre carrière française est bien. On est cinq gars qui arrivent à vivre de ça. Il y a de plus en plus de monde à nos concerts. On prend l’habitude de jouer devant ce public et on ne se sent pas prêt pour l’instant à reprendre à zéro dans un autre pays.
Interview réalisée par Florian Antunes Pires et Johan Perrin.
Photos Johan Perrin.
Remerciements à l’équipe de l’Echo System.