Du 9 au 14 février : A Poils d’Alice Laloy (dès 3 ans) – THEATRE
En février dernier, Diversions rencontrait Alice Laloy sur le plateau de la Comédie de Colmar, où la metteuse en scène mettait les dernières touches à sa création À Poils. La pièce poursuit sa tournée, et un arrêt est prévu au TJP de Strasbourg en février.
À Poils met aux prises un jeune public avec trois hommes adultes, et qui plus est, à la pilosité bien affirmée !
Ce sont en effet trois hommes, des roadies qui ne sont pas sensés, a priori, s’adresser aux enfants en bas âge. Quand le spectateur rentre dans la salle, rien n’est installé, rien n’est mis en place comme prévu et il y a des roadies qui sont en train de brasser des caisses, des flight cases…
Le décor est d’ailleurs en évolution perpétuelle durant le spectacle…
Les roadies vont transformer tout l’espace du plateau sous le regard des spectateurs, en les repoussant d’un côté, en les faisant se promener sur le plateau, circuler, voyager, pour petit à petit les intégrer à l’intérieur d’un espace qu’ils vont construire autour d’eux.
On a l’impression que toute une mécanique se met en place, notamment lorsque les comédiens installent le décor à vue.
Il y a vraiment un mélange entre tout le vocabulaire qui est mécanique et un vocabulaire qui est organique, puisqu’ils sont sur le plateau avec des caisses, du matériel, un mat télescopique, des flight case, une bâche… Les caisses se déploient, le mât s’allonge. Le vocabulaire organique est lié à leurs poils qui poussent, qui se rallongent et qui petit à petit s’hybrident pour devenir de plus en plus colorés, et envahir tout, comme une nature un peu merveilleuse qui vient recouvrir, contaminer tout cet espace.
En répétition, on vous voit travailler une véritable chorégraphie en compagnie des comédiens, notamment lorsque ces derniers doivent manipuler tout un écheveau de cordes.
Il y a une partition extrêmement technique à mettre en place et en effet, on ne peut pas tirer des fils comme ça, quand chacun veut, puisque l’idée c’est quand même que ça se chorégraphie. C’est orchestré de manière à ce qu’il y ait du rythme, il faut que ça swingue !
Vous collaborez aussi avec le guitariste Csaba Palotaï.
Il compose la musique, car tout le spectacle est musical. Tout ce montage, toute cette transformation se fait au rythme de la musique de Csaba. On s’appuie sur cette musique pour faire évoluer les matériaux et les déployer, c’est un jeu rythmique, d’écriture rythmique, pour les objets et les déplacements dans l’espace. On est aussi sur un espace assez confiné, puisque l’idée est de partir d’un espace de théâtre vide donc qui n’est pas forcément très accueillant ! On fait exprès de laisser les passerelles allumées. Il y a la rubalise qui est là, l’espace n’est pas agréable, un espace nu, très grand, surtout pour les enfants.
Dans À Poils, vous jouez d’ailleurs avec les échelles, les rapports de tailles…
Dans l’enfance, c’est très prégnant ce rapport à l’espace, où tout ce qui est grand nous paraît immense, et tout ce qui est immense nous paraît un désert. Donc c’est un peu jouer avec ce rapport-là. Les jeunes spectateurs arrivent dans un espace immense assez froid et très vide, et petit à petit ça se resserre. On zoome sur un espace extrêmement confiné. Ils vont se retrouver comme sous une tente, comme dans un cocon de merveilleux.
Pour la plupart des enfants, qui peuvent voir le spectacle à partir de trois ans, c’est leur premier rendez-vous avec le théâtre…
C’est très particulier pour des enfants de 3 ans d’aller au théâtre. C’est une expérience souvent première, à moins d’avoir des parents qui font du théâtre ! On ne va pas au théâtre toutes les semaines, c’est une exception, c’est quelque chose de rare donc de précieux. Et puis c’est souvent un baptême quand on a 3 ans, même quand on a 4, 5, 6 ans. Ce n’est pas à négliger, et plus l’expérience sera forte, plus elle pourra laisser une trace et accompagner la personne. C’est aussi jouer avec l’inattendu. Il y a un champ de possibles qui est vaste, et c’est aussi le jeu pour des adultes qui ont entre 40 et 55 ans. Qu’est ce que c’est pour eux de jouer devant des enfants de 3 ans ? C’est assez improbable, très différent que de jouer devant des adultes qui ont choisi de venir en conscience au théâtre. Les enfants ne font pas le pas, on les amène, à l’école, à la crèche.
À Poils ne propose pas quelque chose de strictement narratif.
Oui et cela ouvre un autre champ de relation avec les adultes qui sont sur le plateau. Là en l’occurrence ce sont des acteurs performeurs. On n’est donc pas dans une fiction, dans le sens où on n’est pas dans une narration fictive avec une histoire, avec des personnages. C’est plutôt une expérience que l’on propose de traverser et de vivre, une expérience de spectateur. Les roadies ne pas forcément accueillants, parce qu’on a tendance quand on accueille les enfants à se plier en quatre. Là ils restent dans leur attitude personnelle de roadies, et puis petit à petit ils se transforment, se mettent à jouer, à danser et prendre du plaisir, à tirer sur leurs fils. Faire un montage devient une sorte de jeu, un peu comme dans une comédie musicale. Toutes leurs actions deviennent prétexte à jouer, à danser et à avancer, à transformer cet espace. Comme quand on est enfant et qu’on est sur un chantier naval ou devant un chantier des BTP. C’est vachement magique de voir les grues, d’assister à de la construction !
Propos recueillis par Dominique Demangeot
Reportage tourné lors de la création d’A Poils à La Comédie de Colmar en mars 2020
Plus d’informations : https://www.tjp-strasbourg.com/alicelaloy