Pilules bleues (2013)
Frederik Peeters
Atrabile
Il y a des œuvres qui donnent à la fois envie de tomber amoureux et de croire à l’impossible. C’est le pari très réussi de Frederik Peeters qui sortait en 2013 chez Atrabile « Pilules bleues », roman graphique autobiographique qui revient sur son histoire d’amour avec sa femme, atteinte du HIV. Un couple est-il « discordant » quand l’un porteur du sida et que l’autre est sain ? C’est toute la question que se pose notre auteur et narrateur et qui nous fait demander tout au long du récit si la maladie ne va pas ronger ce couple comme elle attaque les anticorps de sa compagne.
Fred rencontre Cati pour la première fois au cours d’une fête alors qu’il sont encore très jeunes. Elle passe alors presque inaperçue, mais lui la remarque et c’est déjà presque le coup de foudre. Plusieurs années passent où ils ne feront que se croiser. Fred tente de vivre de la bande dessinée. Cati a le temps de son côté de se marier, d’avoir un enfant et de divorcer. Ils se revoient enfin un soir de Nouvel an, et elle semble assez affectée par cette épreuve. S’entame alors une conversation entre nos deux héros qui, semble-t-il, ne s’interrompra jamais. Un dialogue inachevé, qui sera fait d’éternels points de suspension, entrecoupés de quelques points d’interrogation. Peut-il assumer la maladie de Cati ? Comment se projeter toute une vie avec quelqu’un qui n’a pas forcément les mêmes chances de survie que vous ? Comment vivre tout cela avec un enfant qui porte le même mal que sa mère, et dont la santé est plus fragile encore ? Cati est rongée par la culpabilité et par la peur de voir son fils mourir avant elle. Plus simplement, se pose la question de la transmission du virus au sein du couple. Comment surmonter ce paradoxe qui consiste à faire coexister la spontanéité de la passion amoureuse, le besoin de fusion avec l’autre, et la peur permanente de l’accident de la capote qui craque ? Il est régulièrement question des angoisses liées aux modes de transmission du HIV, et pourtant, il y a l’envie d’avoir un enfant ensemble, de construire une famille, malgré la maladie, ses risques et ses échéances inconnues.
Pour autant, le ton ne se veut jamais sombre ni alarmiste. Sans angélisme, l’auteur nous livre, avec pédagogie, son expérience intime du HIV au sein du couple et de la famille, avec son lot de doutes, de peurs, d’envies de baisser les bras de temps à autre. Mais l’espoir domine, porté par une complicité et un amour solide comme un roc. Malgré un sujet grave, cette histoire fait du bien et nous donne du baume au cœur. Il y a de grands moments d’humour et de dérision, autant de pieds de nez à la maladie qui parfois nous font rire jaune. Mais ce rire nous est permis, puisque ce sont les premiers concernés qui nous l’offrent avec une formidable dignité.
– Laura Prenat –