MUSIQUE
Allia
Traduit de l’anglais par Pauline Bruchet et Benjamin Fau
Allia publie une nouvelle édition – la huitième depuis 2004 – de l’ouvrage collectif Modulations retraçant l’histoire des musiques électroniques. Publié par Caipirinha Productions, dans le prolongement de ses compilations musicales et d’un documentaire, et coordonné par le critique musical Peter Shapiro, Modulations offre un panorama complet de cette grande aventure musicale de la seconde moitié du XXe siècle.
Du krautrock de la fin des années 60 au hardcore des nineties, en passant par la house de Chicago d’où découlera la techno de Detroit et son « funk accéléré », Modulations explore la galaxie des musiques électroniques. Parmi les nombreux entretiens souvent éclairants qui accompagnent chaque section, Pierre Henry, pionnier de la musique concrète, évoque la nécessité de mélanger sons numériques et sons analogiques, même s’il faut bien avouer que la musique électronique fut dépendante des évolutions technologiques que constituèrent le clavier Moog, l’incontournable Roland TR 808 ou encore le S1000, sampler qui a sonné l’avènement de la drum and bass. Les chapitres se voient complétés par plusieurs entretiens qui vont à l’essentiel, des anecdotes comme celles de Teo Macero, producteur entre autres de Miles Davis, ou encore Derrick May, l’un des trois pères fondateurs de la techno de Detroit – surnommés les « Belleville Three » -.
La pratique de la machine en tant qu’instrument à part entière est aussi évoquée, tout comme l’évolution des techniques d’enregistrement et des logiciels musicaux. Modulations démontre aussi les passerelles et filiations entre des pionniers comme Pierre Schaeffer à la fin des années 40 et la dance music dans les années 80, ou encore entre John Cage et les pionniers du hip-hop Grandmaster Flash. L’ouvrage s’intéresse également aux sous-genres tels que le Miami Bass, le Free Style, la Dub et bien d’autres.
« Tous ces bidules électroniques, c’est bien joli, mais si vous ne savez qu’en faire et que vous n’êtes pas un bon compositeur, vous n’avez plus qu’à les renvoyer au magasin. »
Teo Macero
Les différents auteurs apportent leurs propres sensibilités et connaissances sur les nombreuses branches de la musique électronique. On n’évite pas quelques écueils, comme lorsque Simon Reynolds parle de « l’assommant purisme blues pratiqué par Cream ou les Stones » ou que Peter Shapiro déplore les « sentiers battus et étroits de l’hétérosexualité » dans le chapitre consacré à la musique disco, tout en dénonçant cependant plus loin « les puristes du jazz » qui raillent le jazz-funk… Modulations soulève néanmoins quelques problématiques intéressantes, comme l’emprunt et le sampling, propres notamment au hip-hop, ou encore les fameux « cut up » à l’image du disco amplement pillé, « car beaucoup des disques qui sont très populaires et qui se taillent la part du lion de nos jours sont des montages disco de riffs très connus tirés de la musique disco des années 1970 », souligne Carl Cox. Modulations revient aussi sur le caractère transgressif des musiques électroniques, leur dimension politique comme lorsque Cabaret Voltaire fait rugir ses synthétiseurs pour dénoncer l’Angleterre ultra libérale des années 80 ou que la rave se tourne « vers des fêtes illicites [pour] danser jusqu’à l’aube », des problématiques qui restent tout à fait d’actualité en 2021 !
Dominique Demangeot