ROMAN
Actes Sud
Parution en mars 2024
Sy Baumgartner est à son bureau, en train d’écrire. Ainsi débute, sans surprise, l’ultime et crépusculaire roman de Paul Auster. Variation sur le deuil et la disparition, ou comment vivre avec nos fantômes. Car eux ne lâchent jamais l’affaire.
Le professeur émérite de philosophie de Princeton est veuf, et la dernière partie de son existence est rythmée par les venues quasi quotidiennes d’une livreuse lui apportant des livres qu’il ne lit pas. L’une des raisons pour lui de se lever le matin. Baumgartner s’est enfermé dans une solitude qui semble lui peser. Pour alléger son quotidien, il y a sa femme de ménage, et Judith, « une chance de recommencer » après la mort de son épouse. Cette dernière est pourtant toujours bien présente dans la vie de Sy, qui se débat avec un corps vieillissant et les tracas du quotidien. Pas étonnant dès lors qu’il trouve à se réfugier dans le souvenir, revenant sur ses années d’étudiant à New York, sa rencontre avec sa femme, Anna Blume. Un nom qui résonnera nécessairement à l’esprit des lecteurs de Paul Auster… On trouve d’ailleurs plusieurs échos des livres précédents dans ce dernier roman-labyrinthe que l’auteur new-yorkais achèvera – si achever est le terme – quelques mois seulement avant son décès.
Aussi bref que 4 3 2 1 était tentaculaire, Baumgartner évoque aussi la vieillesse, et la perte progressive de l’autonomie physique qui va de pair avec l’effacement de la mémoire. Le fait est que le dernier personnage de Paul Auster est en train de disparaitre peu à peu, et « plutôt que d’ouvrir grand ses poumons pour émettre un hurlement à pleine voix, Baumgartner lâche un léger soupir, presque inaudible ». Le professeur se considère comme un « demi-homme ayant perdu la moitié de lui-même », mais insiste sur le devoir des survivants de témoigner. Baumgartner n’est pas vraiment seul finalement, car lancé dans une existence chaotique et peu rassurante, comme des milliards de congénères dépendant « tous les uns des autres, et […] nul, pas même la personne la plus isolée d’entre nous, ne peut survivre sans l’aide des autres. » Une jeune étudiante pourrait même l’aider à éditer les écrits de sa regrettée épouse, dormant dans des cartons. Une raison de plus de se lever le matin. Baumgartner se souvient aussi de sa famille, des échos là encore de la propre histoire d’Auster, entre Amérique et Ukraine, et en particulier de ce père, « énigme humaine » dont il avait brossé l’évanescent Portrait d’un homme invisible en 1982.
Dominique Demangeot