À Présent
Tôt ou Tard
Sortie le 7 octobre 2016
Je parcours le net en ce cuisant matin d’août 2016, et que ne vois-je pas sur ta page Facebook, cher Vincent ? Une appétissante et louangeuse chronique de ton sixième album à paraître. L’heureux Gilles Médioni de L’Express a donc pu se caler entre les oreilles ta prochaine galette en exclusivité intergalactique. Pour lui, À présent ne serait ni plus ni moins que le meilleur disque de la rentrée.
Je ne demande qu’à m’en convaincre moi-même, discret Vincent, et à en témoigner auprès de nos lecteurs de Diversions. Cette lettre ouverte donc, pour te demander de m’envoyer le précieux album que nous ne manquerons pas de chroniquer dans les plus brefs délais, et plutôt tôt que tard, car le temps passe et aujourd’hui les filles de 1973 ont déjà 43 ans. Je suis même prêt à porter une écharpe rouge comme Christophe Barbier. D’autant que le teaser vidéo de l’enregistrement que tu as, taquin Vincent, jeté au fil du net, a laissé filtrer quelques indices. Les delermiens convaincus depuis 2002 ne seront probablement pas restés insensibles à ces aperçus de studio, ces bribes d’orchestrations qui nous portent à penser que oui, le créateur de Tes parents est bel et bien de retour, après l’échappée cinématographique et conceptuelle des Amants parallèles en 2013.
Cette impudique incursion dans le studio A nous a ouvert une fenêtre sur ton album en devenir. Un vumètre et son aiguille épileptique. Des cafés fumant et des tisanes qui refroidissent. Le capiton d’un fauteuil. Toi de dos, au piano. Toi taillant une bavette avec Maxime Le Guil aux manettes. Maxime qui a royalement tenu celles de Morrissey pour son album il y a deux ans. Voilà qui a dû te plaire. Maxime est venu avec son complice Clément Ducol que l’on voit diriger une formation chambriste. Les cordes et les cuivres te vont si bien. Ces cordes délicates que l’on a plaisir à retrouver à chaque album depuis Kensington Square, élégantes et sobres comme cette pochette grenat qui recélait quelques perles. Avec À présent, côté cordes, tu sembles avoir mis le paquet. Ces cordes et cette basse ronde, gourmande, tellement anglaise.
Dans le studio A, ça bosse dur. À 0’32, tu fais très bien le gars qui écoute en pleine concentration. À 0’39 aussi. À 1’4, tu parles avec une musicienne qui est en train de faire des miettes de Savane -. À 1’12, athlétique Vincent, tu jongles avec un stylo. À 1’29 tu es quand même vachement mal cadré, mais c’est peut-être fait exprès. À 1’52, Benjamin Biolay expire quelques volutes de goudron. Plus loin tu feras preuve de lucidité en déclarant que tu ne veux pas mourir ce soir – au prix que coûte une heure de studio, ça se comprend -.
Ton public grandit, Vincent. Il vieillit avec toi. Tu n’as eu de cesse d’esquisser nos existences et la tienne depuis bientôt quinze ans. Ces parallèles qui nous donnent à penser que nous avons usé nos fonds de jeans aux mêmes chaises d’école, que nous avons à peu près tous vibré durant les matchs de Roland Garros, tandis que l’échéance du si redouté Baccalauréat se rapprochait inexorablement. Dans la chanson titre, tu scandes « Nous sommes ». Tu évoques enfance et enterrements, lumières et soirs d’été, des détails que tu distilles avec application depuis quinze années – une vieille affiche qui se décolle un peu, les doigts d’une adolescente passant sur de minuscules piqûres d’araignée – des presque rien qui en toute autre occasion, auraient paru insignifiants mais qui, passés à la moulinette Delerm, composent la trame de nos vies quasi synchronisées. Tu le chantes toi-même, la vie continue son cours, d’autant que tu as récemment mis le pied dans la paternité. Sur les trottoirs que tu fais une fois encore rimer avec soirs, on ne croise pas que Modiano. On y mène aussi nos propres chemins. Ça tombe bien : tu empruntes quelques mots à Romain Gary/Émile Ajar, La Vie devant soi, pour nous chanter des matins prometteurs. Et comme pour répondre à la question posée au début, l’extrait d’À présent à la toute fin semble nous dire que oui, tu as l’air plutôt heureux. Pas la grosse grosse poilade non plus, mais Vincent est heureux.
Merci pour lui.
Alors ne nous fais pas languir davantage, envoie-nous ton disque pour que l’on puisse à présent vérifier tout cela sur pièces.
Et tiens, je te fais même un peu de réclame :
Dominique Demangeot