ROMAN
Au diable vauvert
Parution le 25 août 2022
Diego Lambert, ancien cocaïnomane (mais toujours alcoolique et sans emploi), est au bout du rouleau financièrement parlant. Son père lui offre un poste de DRH dans l’unique but de licencier quinze employés de l’une de ses usines à Saint-Omer. Diego prend alors la direction du Pas-de-Calais pour s’atteler à la tâche, qui va pourtant s’avérer plus compliquée que prévu.
Une fois ses crédits épuisés, et après avoir demandé l’aumône auprès de tous ses proches, Diego parvient à la triste conclusion qu’écrire, ça ne nourrit pas nécessairement son homme et qu’il doit accepter la proposition de son paternel. Antoine Lambert est un homme puissant, respecté autant que craint, et pour lui les vies de quinze salariés ne représentent pas grand-chose, une ligne de chiffres dans un bilan comptable, quantité négligeable face aux actionnaires de ses nombreuses sociétés qu’il faut satisfaire. Diego compte bien empocher les 50.000 euros que lui promet son cher père, et ce Parisien bientôt cinquantenaire va se frotter à la vie réelle d’une petite commune des Hauts-de-France. C’est alors que les scrupules commencent à l’assaillir et que notre indécrottable Parisien, qui se damnerait pour des huîtres et du champagne, se découvre une fibre sociale.
« La Normandie commençait à me courir pas mal. Je voulais Paris et mon appartement sur la Butte. Un bar sombre et une touriste hollandaise », proclamait Gabriel dans Mémoire courte (Au diable vauvert, 2000). Diego a les mêmes tentations : « une envie de disparaître, de boire une bière fraîche sur une terrasse à Paris, de regarder les filles passer avec des robes d’été légères. » Seulement le réel, ça pèse lourd. Nicolas Rey s’intéresse aux vies de celles et ceux dont la fin du mois commence le 10. L’épisode des Gilets Jaunes est passé par là. Diego va choisir de ne pas détourner le regard, tenter de sauver ces quinze emplois, ce qui ne se fera pas sans reniements et accrochages (voire plus) avec le père tout puissant. La fameuse peur du déclassement, c’est ce qui rapproche le DRH fraîchement promu des employés nordistes. L’anti-héros de Nicolas Rey pourrait-il devenir héros tout court ? Diego sait qu’il peut aller chercher du réconfort auprès de sa dulcinée, sa thérapeute Anne Bellay, relation forcément problématique entre un patient et son praticien, mais Diego Lambert n’en a pas grand-chose à faire des conventions. Avec Crédit illimité, on retrouve les personnages de Nicolas Rey dont le panache ne démissionne pas devant le désespoir et qui détestent « aimer tiède ». Et tant pis si « les rares qui palpitent encore prennent très cher dans la vie », Diego reste libre dans sa tête.
Dominique Demangeot