THÉÂTRE
Actes Sud – Le temps du théâtre
Nicolas Bouchaud publie dans la collection Le temps du théâtre chez Actes Sud, un recueil de textes revenant sur trente années de pratique de l’art dramatique. Il y évoque son expérience personnelle, voire intime, cheminant aux côtés de comédiens et comédiennes, de différents metteurs en scène ou seul au plateau.
Personnelle, cette écriture l’est sans doute. Nicolas Bouchaud nous parle de ce « jeu en rupture, dont [il a] pas mal abusé » mais aussi de son corps d’acteur, car jouer est aussi une expérience qui éprouve physiquement (et parfois blesse !) jusqu’à « suer sang et eau ». Le titre du recueil est un emprunt au critique de cinéma Serge Daney, tiré d’un article que ce dernier avait écrit sur John Ford. Cette notion de « moment » constitue d’ailleurs l’une des pierres d’angle de l’ouvrage. « Qu’est-ce qu’il trafique, l’acteur ? » s’interroge d’emblée Nicolas Bouchaud. On retrouve ce dernier au tout début de sa carrière, se coltinant déjà avec ce temps qu’il faut « laisser se déposer » comme il l’écrit. Si prendre son temps est nécessaire pour monter une pièce, le geste de l’acteur est au contraire fugace. Sauver le moment pose alors la question de ce présent dans lequel s’inscrit l’acteur. Il évoque aussi la présence de ce dernier, « cet instant qu’il creuse ».
Ce moment suspendu, juste avant de se lancer, juste avant de sauter, ce moment furtif où tout peut basculer dans un sens ou dans l’autre est un moment de pur plaisir
Nicolas Bouchaud est donc comédien, et c’est déjà beaucoup. Pas metteur en scène, comme le souligne sa préfacière Véronique Timsit : « Nicolas se tient là « où l’absence d’œuvre est à soi seule une aventure » : comédien ». L’acteur nous parle de la création des Cercueils de zinc, mis en scène par Didier-Georges Gabily au début des années 90 : « Chacun d’entre nous a en charge des fragments de texte », se souvient-il. « Chaque fragment construit l’ensemble ». Nicolas Bouchaud n’oublie évidemment pas cette aventure théâtrale et atypique au sein du groupe T’chan’G, où il fit l’expérience du collectif. Car le théâtre, c’est aussi le groupe, et si Sauver le moment adopte la forme d’un monologue, le recueil revient également sur cet élan collégial dont sont constituées les pièces de théâtre.
On découvre l’acteur au gré de ses collaborations avec Jean-François Sivadier le compagnon de longue date, avec Rodrigo Garcia, jouant en Avignon comme dans une petite commune rurale, sur la route ou dans un train entre New York et Québec, le choc culturel et cette « sensation d’être transporté ». Sauver le moment évoque aussi le théâtre public et la sempiternelle question de l’opposition entre « penser » et « divertir », le rôle social de l’acteur dans le sillage de la décentralisation. En quinze textes courts, mais avec des mots admirablement choisis, le comédien dit beaucoup de ces moments de théâtre que sont les répétitions, les lectures, le souffle, le doute souvent, l’échec parfois, et puis ces instants où l’on trouve un rythme, une intonation, quand enfin « tout sonne juste ». Quel plaisir d’être convié à cette « fête étrange » qu’est la fabrication d’un spectacle.