ROCK
Reprise / Warner / 2016
Les “concept albums”, conscients ou non, font partie intégrante de la discographie de Neil Young. Dans les années 80, il prend tout le monde à contre-pied en publiant l’album électro Trans plein de vocoder et de titres inécoutables, un album synthétique fait pour communiquer avec son fils Ben atteint de paralysie cérébrale. Vingt ans plus tard, le Loner touche de nouveau aux disques à thème avec Greendale qui conte l’histoire d’un village imaginaire en pleine corruption et omniprésence des médias. Puis à la fin de la dernière décennie, il n’hésite pas à dédier un album complet à sa voiture non polluante. Tonight’s The Night et Sleeps With Angels pourraient être ajoutés à la liste, tant ils sont la présence des fantômes de Danny Whitten et de Kurt Cobain posent leurs empreintes sur les enregistrements.
Earth tient aussi de l’album concept : il est l’illustration live de la tournée faisant suite à The Monsanto Years, collection de chansons contre le géant de l’agro-alimentaire, en compilant des titres ayant trait à la protection de la planète, captés en concert. Et comme Neil Young est le genre de gars à faire des trucs complètement surréalistes en se fichant de ce qu’on pourrait en penser, il décide de se servir de cris d’animaux pour faire la transition entre les morceaux. On entend donc poules, vaches, canards et autres chevaux se balader tout le long de l’album, mais ces singeries ne gâchent pas la nature même des titres de grande qualité.
Le Canadien marie le neuf et l’ancien en piochant dans toute sa discographie pour créer sa setlist, dont la moitié des morceaux sont partagés par les deux seuls albums Ragged Glory (LE premier album dit « grunge ») et The Monsanto Years. Ça commence comme un cantique avec Young seul derrière son orgue sur Mother Earth (Natural Anthem) avant que les guitares rageuses ne fassent leur entrée sur Seed Justice et son faux air de All Along The Watchtower. Un titre inédit très punk sur lequel on sent la nouvelle énergie apportée sur scène par le groupe de Lucas Nelson, comme l’avait fait à l’époque Pearl Jam sur Mirrorball. L’urgence générale de ce live pourrait faire penser à Weld, avec le solo bien crade de Country Home et le brûlot Big Box.
The Promise Of The Real fait plus que suppléer Crazy Horse et donne une nouvelle lecture à un titre comme Love & Only Love, qui s’étire pendant près de 30 minutes avec des impros aériennes où se fait ressentir le feeling qui s’est tissé avec le Loner. Earth est aussi et surtout l’occasion d’entendre des vieilles compos qui n’ont rien perdu de leur puissance. On pense à Vampire Blues ou à la classique After The Gold Rush qu’on aurait pensé ne jamais réentendre en live. Autre bonne surprise, Hippie Dream revisité perd le son démodé des années 80 pour devenir très sombre et pesant, une facette qu’on ne soupçonnait pas à l’écoute de l’original (d’ailleurs on a l’album Landing On Water juste pour la collection, mais on ne l’écoute jamais). La country de Western Heroes ou de Human Highway permet d’apporter un peu plus de légèreté à l’ensemble. Aux premiers abords, on peut avoir peur d’un album au militantisme prononcé. Mais Earth est avant tout un album d’un Neil Young dans sa superbe, qui à 70 ans semble éternel et plus remonté que jamais.
Florian Antunes Pires