En novembre, dans le cadre du festival Scènes d’Automne en Alsace, Frank Zappa s’invite sur les planches à Mulhouse et Colmar. La compagnie L’Armoise commune, sur une conception et une mise en scène de Paul Schirck, proposera sa troisième création, Cosmik Debris.
L’Armoise commune nous transporte à Los Angeles, pour nous présenter Francesco, un jeune homme qui a fait de l’œuvre de Frank Zappa sa spécialité. Avec des amis musiciens et chercheurs, il se fixe l’objectif de monter une conférence-concert évoquant l’artiste à moustache. Son nom : Cosmik Debris – qui reprend l’un des titres de Zappa -, avec en sous-titre : Frank Zappa et l’art du pas de côté, ou comment chercher l’ouverture sans se résigner. Quelle est la portée de l’œuvre de Zappa dans leurs vies intimes ? Des questions sont soulevées, des hypothèses émises. « Si la résignation ambiante passée au prisme zappaïen pouvait se transformer en une nouvelle façon de voir ce qui nous entoure », s’interroge la troupe. Frank Zappa demeure un artiste à part dans l’histoire de la musique. Ce grand guitariste, qui fut aussi batteur et chef d’orchestre, écrivain, peintre, cinéaste (et même candidat à l’élection présidentielle américaine, comme nous le rappelle L’Armoise commune), fonda The Mothers Of Invention en 1964, investissant des champs musicaux très divers, du blues à la musique classique, en passant par des esthétiques contemporaines – et notamment Edgar Varèse -. « En déplaçant sans cesse les barrières qui divisent les styles, il est parvenu à s’imposer comme l’une des figures les plus innovantes de la musique contemporaine du XXème siècle et comme l’un des papes de la contre-culture américaine », nous dit encore L’Armoise commune. Après Narcisse et Goldmund (Hermann Hesse) et Jean la Chance (Bertolt Brecht), la compagnie change donc d’univers, même si la musique demeure un point de réflexion central dans son travail. L’Armoise commune laisse de côté la thématique du récit initiatique pour suivre ici « une vie entière de recherche qui [lui] est proche dans l’esprit et dans le temps, celle de Frank Zappa ». C’est bien la « pensée artistique et politique » du musicien qui intéresse Paul Schirck et ses camarades. Quid de la génération née au milieu des années 80? De ses combats et de ses engagements?
L’Armoise commune évoque tour à tour ici la chute du Mur de Berlin, les Printemps arabes. « Ce sentiment de quasi-échec que je ressens autour de moi m’interpelle, me poursuit et je n’en suis moi-même pas totalement exempt, surtout depuis la victoire de Donald Trump aux dernières élections américaines», souligne Paul Schirck. La figure de Zappa a alors surgi à l’esprit du comédien, en tant que « l’archétype même d’un artiste qui fait de ses indignations, de ses renoncements, de ses échecs, des remises en question perpétuelles pour essayer d’augmenter nos forces ». Cosmik Debris devrait donc évoquer l’artiste et ses engagements, redéfinissant ainsi la fonction de l’art, la questionnant également. L’art… et la politique. « Un artiste qui n’a jamais voulu d’une position de surplomb, qui n’a jamais prétendu à une lucidité réservée, qui n’a jamais voulu des leçons de morale ». Le Zappa artiste curieux, défricheur, qui prend des risques, devrait aussi figurer dans la pièce, ou du moins en influencer l’esprit. La compagnie L’Armoise commune a également puisé dans une abondante bibliographie s’étendant sur quarante ans (interviews, chansons, autobiographie) pour composer cette pièce. « Il est aussi frappant de voir, avec le recul, que bon nombre de ses combats et de ses craintes se trouvent aujourd’hui réalisés », ajoute Paul qui parle même de « prophéties infernales ». D’autres textes en lien avec les influences de Zappa (Varèse, Dada, Tex Avery), ou personnalités (de Matt Groening à Terry Gilliam en passant par… Vaclav Havel !) ont été également mis à profit lors de la création de la pièce.
– Dominique Demangeot –
Cosmik Debris, Mulhouse, La Filature, du 6 au 8 novembre, Colmar, Comédie de Colmar, du 14 au 16 novembre