Émilie Anna Maillet et sa compagnie Ex Voto à la Lune adaptent la pièce de Georges Feydeau, Mais n’te promène donc pas toute nue en y incluant des extraits de l’œuvre de Lars Norén. Un passage de King Kong Théorie de Virginie Despentes vient compléter cet assemblage qui évoque plusieurs époques de luttes féministes, et le rôle de la femme au sein du couple.
Toute nue se situe ainsi au croisement de trois époques, entre les premières revendications féministes, encore balbutiantes au XIXe siècle, les années 70 où les combats pour l’indépendance et les droits des femmes se sont amplifiés, et enfin notre époque actuelle post #Metoo avec la notion de parité notamment, ainsi que la réappropriation de leurs corps par les femmes. « Dans toute cette histoire qu’est-ce qui perdure ? », s’interroge Émilie Anna Maillet. « Et comment décrypter les symptômes de domination si génialement mis en jeu par Feydeau ? » Dans Mais n’te promène donc pas toute nue, Ventroux est un député en vue, potentiel ministre, et sa femme Clarisse le représente lors des soirées mondaines où les réputations (des hommes) se font et se défont. Le couple devient l’enjeu d’une représentation sociale. « En cela, rien n’a véritablement changé aujourd’hui », ajoute la metteure en scène qui nous rappelle que la femme reste encore de nos jours l’instrument de la carrière politique de son époux, « machine à gouvernement, une mécanique à beaux compliments, à révérences », écrira Balzac. La pièce dresse un parallèle avec notre époque, où la place centrale des réseaux sociaux dans le quotidien a rendu encore plus mince, voire floue, la limite entre vies privée et sociale.
Mais Clarisse aspire à exister par elle-même, être davantage qu’un instrument au service des ambitions politiques de son mari. Elle veut son autonomie financière et sociale, et une intimité. En exposant son corps aux visiteurs de la maison, elle cherche à briser la carrière de son mari, détruire son pouvoir pour mieux s’en affranchir. « Dans les mises en scène de l’époque, Clarisse n’était pas nue, mais en déshabillé, libre de ses mouvements. C’était déjà choquant », explique Émilie Anna Maillet, qui précise que le corps féminin est aujourd’hui encore affiché comme objet de désir, et dans un but mercantile. Elle adjoint dans Toute nue des extraits de pièces de Lars Norén autour de la dégénérescence du couple, et si les femmes ont acquis plusieurs droits dont celui de voter, avoir un compte en banque et travailler, le souci masculin de la réussite sociale et de sa représentation demeure, tout comme les propos et les attitudes sexistes. Les pièces de Feydeau comme celles de Norén sont « des écritures de la névrose, quasiment mathématiques, qui donnent à voir des personnages pris dans un système auquel ils ne peuvent se soustraire ». Dans cette « variation Feydeau-Norén », on retrouve la dynamique du vaudeville, amplifiée notamment par la vidéo en direct, ainsi que les entrées multiples, propres également à ce style de théâtre.
Paul Sobrin
Toute nue, Mâcon, Théâtre, Scène nationale, 14 janvier à 20h30
theatre-macon.com