ROMAN NOIR
Rivages/Noir
Parution le 8 juin 2022
Karim Madani nous transporte à New York dans les années 80, sanglante époque où certains quartiers de Big Apple se sont vus submergés par le trafic de drogue. Queens Gangsta s’inspire de faits réels : la dynastie de la Supreme Team qui a distribué les balles comme le crack pendant près de dix ans.
L’histoire nous est contée par Prince, alias Gerald Miller, qui a fondé la Supreme Team avec son oncle Kenneth (de deux ans son aîné), plus connu sous le nom de Preme. À eux deux, ils vont constituer une équipe redoutable et monter une armée de dealers et d’hommes de main sans scrupules, une « carrière » que retrace Karim Madani au son du rap des années 80, saga parsemée des musiques et des lyrics de Rick James, LL Cool J, Eric B & Rakim… Dans ce roman noir estampillé « New York Made In France », les références aux armes de poing et à l’argot américain fusent, l’auteur s’étant immergé totalement (et nous avec) dans cet « enfer en brique rouge » que constituent les différents quartiers du Queens : South Side, South Jamaica en particulier. Au-dessus des immeubles, les avions s’envolent pour des cieux plus cléments. Prince lui, rêve de s’offrir un avion mais au ras du sol on lutte pour sa survie et on ne va pas très loin. Seuls les pigeons vont et viennent à leur guise même s’ils finissent toujours par revenir dans cette « prison à ciel ouvert ». Le personnage d’Henry Bolden, particulièrement violent et en roue libre et qui tentera une inespérée réhabilitation, illustre bien le phénomène.
Tout en livrant un roman percutant et qui sent la poudre, portrait sans concession de la « jeune cité babylonienne » qu’est New York, Karim Madani évoque aussi en filigrane la situation économique des populations afro-américaines, dans les quartiers populaires de New York dans les années 80, l’arrivée de Reagan et les coupes sombres dans les aides sociales, les fameuses « Reaganomics » néolibérales. C’est en effet sur les cendres du rêve américain que prolifèrent la misère de manière générale et la Supreme Team en particulier avec son « mégacapitalisme criminel ». Quant au crack, c’est la drogue ultime qui fait de vous un zombie totalement accroc en moins de temps qu’il n’en faut pour dégainer son Glock 17. Toute ressemblance entre les quartiers chauds de New York dans les années 80 et la situation actuelle en France, ces économies parallèles qui prolifèrent sur la misère dans les zones abandonnées par la République, n’est pas vraiment fortuite. Quant à une échappatoire, certains la cherchent encore. « C’est notre monde », dit Preme. « On connaît rien d’autre ».
Manu Gilles
Retrouvez Karim Madani lors du festival Livres dans la Boucle 2022 à Besançon (www.livresdanslaboucle.fr/)