POP ROCK
Columbia
Hubert-Félix Thiéfaine a mis à profit le temps de la pandémie pour graver chez lui au cœur de sa forêt de Chaux son dix-huitième album. Contrairement à ce que semble nous dire la somptueuse couverture orchestrée par Yann Orhan, Thiéfaine ne s’est pas statufié. Sa discographie nous prouve que rien n’est gravé dans le marbre chez lui, l’artiste prenant un nouveau tournant musical en confiant les clés de la boutique à son deuxième fils, Lucas. Une affaire de famille.
Si Du soleil dans ma rue ouvre le disque sur un tempo nerveux et une mélodie solaire, le texte dresse un constat plus désabusé. On retrouve les métaphores christiques de Thiéfaine qui se considère toujours comme un ange déchu. À notre époque où « chacun des sept milliards d’humains peut être tué quarante mille fois », l’âme hantée de Thiéfaine a encore de quoi se lamenter. Ailleurs, ce sont « les moisissures du temps » qui préoccupent l’artiste. Ce féru d’histoire nous entretient d’ailleurs des derniers jours de Mary Stuart sur Fotheringhay 1587, et le destin de la reine maudite fait écho à nos vanités (« En ma fin gît mon commencement »). Le temps passe sur lui mais Thiéfaine est toujours vaillant même si, comme il le chante sur Page noire, « nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire ». L’heure est peut-être venue de délaisser les chaines d’info, nos écrans et de se méfier des « nouveaux Moïses ».
C’est à Lucas que l’on doit le virage synthétique pris sur Géographie du vide. Aux arrangements avec Christopher Board et Fred Gastard, le multi-instrumentiste a érigé pour son paternel de chanteur des ossatures synthétiques comme sur Nuits blanches, soufflé la chaleur (l’outro au saxo de Page noire) et la glace (les claviers cryogénisés de Reykjavik). Sur Eux, Thiéfaine retrouve les balancements new-wave du début des années 80. Géographie du vide est un album à la teneur pop rock, aux sonorités d’aujourd’hui, même si l’on accordera une mention spéciale à l’atmosphère particulière de L’idiot qu’on a toujours été, s’égarant délicieusement dans les tonalités, les rythmiques et les textures sonores, un morceau empreint d’une ambiance seventies. Au rang des invités, citons quelques désormais fidèles : Arman Méliès, JP Nataf, et pour la première fois Nosfell, partenaire sur Prière pour Ba’al Azabab, qui a apporté son (gros) grain de folie sur ces bacchanales électrorientales taillées pour les dancefloors. Indéboulonnable Hubert.
Dominique Demangeot
Consulter la chronique de la biographie Animal en quarantaine