RECUEIL
Traduction de Thierry Gillybœuf
Le Passeur Éditeur
Le Passeur édite des écrits, inédits en France, d’Henry David Thoreau (1817-1862), une trentaine de textes traduits pour la première fois par Thierry Gillyboeuf. En dépit d’une carrière relativement brève (Thoreau décédera à 44 ans de la tuberculose), le natif de Concord dans le Massachusetts s’est intéressé à des domaines de recherche particulièrement variés. On a plaisir à retrouver Thoreau dans ce recueil, depuis ses premiers écrits d’adolescent où, de sa fenêtre, il entreprend déjà de « jeter un œil à ce monde ici-bas », jusqu’à ses dernières années.
De par sa curiosité, son sens de l’observation et son refus des chapelles, Thoreau est un pur produit du XIXe siècle, et de ce pays-continent en devenir que sont les États-Unis. Avec Ralph Waldo Emerson, Walt Whitman et quelques autres, il contribuera d’ailleurs à faire émerger une pensée proprement américaine, émancipée de la tutelle européenne. Engagé politiquement, impliqué dans son époque, l’auteur de Walden (récit de sa vie en autarcie durant deux ans en pleine nature) ne néglige pas pour autant les cultures classiques, qui valent pour lui tout autant que des boussoles, comme lorsqu’il évoque la littérature gréco-latine : « Lire les classiques […] c’est comme marcher au mille des étoiles et des constellations, un haut chemin de traverse où l’on voyage en toute sérénité. »
N’oublions pas son fameux essai La Désobéissance civile, qui donne encore aujourd’hui quelques sueurs froides aux gouvernements et inspire bien des révoltes. Thoreau s’intéressera tout à la fois à la littérature (il évoque dans ce recueil plusieurs auteurs, dont Homère, Chaucer) et aux sciences naturelles. Dès son plus jeune âge, celui que l’on appelle encore David Henry a le goût de la marche et de l’observation (influencé notamment par l’écrivain anglais William Howitt dont il résumera son fameux Livre des saisons à l’université), tombant d’admiration devant la beauté de la nature et les richesses qu’elle nous offre. On retrouvera l’écrivain à la fin de sa vie, dans Nuits et jours à Concord (article composé par son ami William Ellery Channing à partir de notes), traitant de la marche au clair de lune, étudiant la dispersion des graines, la vie et la mort des arbres.
« Septembre. La joie est à son comble, quand on est allongé de tout son long sur l’herbe, à l’ombre d’un arbre majestueux, pour donner carte blanche à l’imagination – pour prêter l’oreille au silence audible qui couvre le bourdonnement de 10 000 insectes dont l’air est empli – la matière même, semble-t-il, dont l’atmosphère est composée. »
Lorsqu’il évoque la vie (trépidante) de Sir Walter Raleigh (1552-1618), on retrouve cette curiosité dont Thoreau ne s’est jamais départi. « Il a étudié la musique, le jardinage ornemental, la peinture, l’histoire, les antiquités, la chimie ainsi que de nombreux domaines artistiques », écrit-il, admiratif. Et s’il disserte longuement sur l’écrivain explorateur, c’est surtout pour le prendre en exemple auprès de ses contemporains. « Nous nous sommes intéressés à un beau spécimen d’Anglais du XVIe siècle, mais il nous incombe d’être de plus beaux spécimens d’Américains au XIXe. » On retrouve en filigrane les grands principes du transcendantalisme dans la lignée d’Emerson et de Carlyle, cette doctrine appelant à l’indépendance de l’individu, vis-à-vis des conservatismes tant religieux que politiques, et célébrant la nature.
Dans les écrits de l’étudiant d’Harvard, on reconnaît déjà les germes d’une philosophie, et notamment la volonté de ne pas suivre le troupeau (lorsqu’il évoque l’homme d’état anglais Henry Vane, républicain exécuté par Charles II), ou lorsqu’il remet en cause les dogmes religieux, dont le rejet lui paraît constituer « la première étape vers l’excellence. ». Cette « pensée dont la modernité semble encore parfois nous devancer », comme le note Thierry Gillyboeuf, enrichie par la lecture de textes sacrés hindous, bouddhistes et confucéens, on la retrouve dans ces articles, essais, textes de conférences réunis sous le beau titre Un monde plus large, des inédits en France qui pourront constituer une première rencontre – de qualité – avec le philosophe de Concord.