Reportage de Diversions sur l’exposition Syncopes et Extases. Vertiges du temps
La notion de temps a une nouvelle fois les honneurs du Frac Franche-Comté, à l’occasion de trois nouvelles expositions à découvrir à partir du 13 octobre à la Cité des Arts. L’artiste, musicien et metteur en scène Nino Laisné, que l’on a pu croiser aux 2 Scènes la saison dernière avec sa pièce Romances inciertos, un autre Orlando, a tourné un film à Besançon, présenté à l’occasion d’une exposition, L’air des infortunés. Quant au Musée du Temps, il a prêté au Frac Franche-Comté des horloges-automates qui entrent en dialogue avec une œuvre de la collection du Frac, Reality Hacking n°248 (The Jägermeister), coucou de Peter Regli dont le carillon a été remplacé par un coup de fusil, « ultime et définitive syncope », comme le souligne le Frac, qui a choisi cette thématique pour son exposition principale en cette fin d’année.
La syncope, c’est cet état du corps lors d’une perte de conscience, quand il échappe à son propriétaire,dont on trouve nombre d’exemples dans l’histoire de l’art, de L’Extase de Sainte Thérèse du Bernin à L’évanouissement d’Esther de Nicolas Poussin, entre autres œuvres. L’exposition inclut d’ailleurs des pièces anciennes empruntées aux musées des Beaux-Arts de Besançon et de Dole. Syncope et extase sont des états proches de la chute, de la mort mais aussi du plaisir. Stéphanie Jamet, commissaire de l’exposition invitée par la directrice du Frac Franche-Comté Sylvie Zavatta, explique qu’elle souhaitait vérifier si le concept de vacance de l’âme (vacatio animae), que l’on trouve souvent traité chez les artistes de la Renaissance, était toujours d’actualité dans la création contemporaine. La syncope amène le sujet hors du temps, la durée n’existant plus. « Tomber en syncope ou en extase, c’est en effet vivre une suspension temporelle ».
La première salle est consacrée à des œuvres abstraites évoquant la syncope en tant que rupture, à l’image de la pièce de Gerhard Richter, Athen, peinture séparée en deux par une ligne horizontale. « Même si Richter reste énigmatique au sujet du titre, j’y perçois un écho à la démocratie et à la fin d’une période historique qui séparait l’Allemagne et le monde en deux ». Signalons la présence importante de la forme en spirale, qui symbolise la perte des repères. Cette première section décrit les effets ressentis lors d’une syncope : tension, silence ou encore éblouissement comme dans les peintures de Guillaume Boulley, ou encore à travers la spirale d’Ann Veronica Janssens, des sensations exacerbées la plupart du temps, propres à subjuguer corps et esprit.
La deuxième partie de l’exposition s’intéresse aux états d’extase, entre plaisir et mystique, avec des allusions fréquentes au plaisir sexuel et la « petite mort » selon l’expression consacrée, à la fois féminine et masculine, sans distinction de genre ainsi que l’illustre Reprise de Jimmy Robert, photographie de la danseuse Shiho Ishihara ayant revêtu la tenue masculine d’un maître de Butō. L’extase de Salvador Dalí dialogue avec L’Inexpliqué – Voile d’extase, moulage du visage de la Sainte-Thérèse du Bernin par Stéphanie Solinas, doublé d’un surmoulage en latex. Parmi d’autres dialogues, citons les trois peintures de la série des Extases de Thomas Huber associées à la fameuse Vague renversante de Balthasar Burkhard. Et puisque d’Eros à Thanatos, il n’y a qu’un pas, l’exposition s’intéresse également à la résistance du corps face à la douleur, quand le cerveau coupe les circuits pour que le corps survive. « J’ai beaucoup pensé aux personnes qui ont perdu connaissance lors des derniers attentats et ont ainsi survécu », explique Stéphanie Jamet. Dans la dernière salle, les artistes nous interrogent sur des questions d’ordre sociétal, et sur « l’amnésie collective », comme le souligne Sylvie Zavatta, « laquelle est généralement orchestrée par le pouvoir, pour des raisons idéologiques ».
– Dominique Demangeot –
Syncopes et Extases. Vertiges du Temps, Besançon, Frac Franche-Comté (Cité des Arts), du 13 octobre 2019 au 12 janvier 2020
www.frac-franche-comte.fr