Émilie Frèche – Les Amants du Lutetia



ROMAN

Albin Michel 

Parution le 31 août 2023

Un matin, dans le prestigieux palace parisien du Lutetia, on retrouve les corps de Maud et Ezra Kerr allongés sur leur lit. Le couple d’octogénaires a choisi la liberté dans sa mort comme il l’a toujours choisie dans sa vie, tout au long des sept trépidantes décennies passées ensemble. Leur fille unique Éléonore, mise devant le fait accompli, ne voit pas les choses de la même manière.

Les Amants du Lutetia - Emilie Frèche - Albin Michel - Chronique dans le magazine DiversionsLe nouveau roman d’Émilie Frèche débute sur ce suicide méticuleusement préparé, l’autrice s’étant inspirée d’une histoire vraie. Mais ici elle a changé noms et circonstances, inventant de toutes pièces l’histoire de ces publicitaires qui ont souhaité couronner leur brillante carrière par une sortie en grandes pompes funèbres. Ultime mise en scène pour ce couple en « représentation permanente », pur produit du baby-boom au sortir de la Deuxième guerre mondiale, celles et ceux qui décrèteraient à la fin des années 1960 qu’il était interdit d’interdire, brûleraient la chandelle (et nos ressources terrestres) par les deux bouts. Des personnages pour le moins romanesques incarnant également dans leurs excès les années 80, l’avènement du marketing et cette tendance du capitalisme à « créer des besoins […] pour soumettre les foules ».

Mais vivre à cent à l’heure sans penser au lendemain (même s’ils étaient des bourreaux de travail), n’a qu’un temps. Soit l’on meurt en plein vol de trop d’excès, soit l’on fait de vieux os. Ezra et Maud sont tombés sur la deuxième option, sauf qu’il n’ont pas considéré celle-ci comme une chance. Éléonore, qui s’est parfois sentie comme une étrangère entre ses encombrants parents, se remémore son enfance avec des sentiments mêlés de colère et d’admiration. Il faut dire que ce couple fusionnel, qui s’est fait seul et a dû se réinventer après avoir perdu sa famille dans les camps de concentration, n’a pas rendu de comptes à grand monde. Comme une revanche sur l’adversité. « Elle exécrait la réalité qui avait fait d’elle une orpheline », dira Éléonore de sa mère. Leur suicide médiatique est cependant l’arbre qui cache une forêt de misères, d’existences moins clinquantes voire carrément sordides, fins de vie autrement plus difficiles qu’Émilie Frèche évoque également. La fragilité d’Éléonore illustre la détresse des enfants et de leurs proches face à la dépendance de leurs parents, la romancière posant également la question du poids des héritages familiaux, qu’ils soient financier ou affectif (parfois les deux).

Dominique Demangeot

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