CHANSON
Cinq 7 / Wagram
Vie étrange pour période étrange. Diversions chroniquait récemment les albums de Brad Mehldau et Ben Harper, deux disques enregistrés au cœur de la pandémie mondiale, l’un à Amsterdam, l’autre à Los Angeles. C’est dans sa maison près de Nantes que Dominique A a quant à lui créé et immortalisé, au printemps et cet automne, dix nouvelles chansons.
Dans la torpeur du premier confinement étaient nés au printemps 2020 quatre premiers titres, réunis dans l’EP Le silence ou tout comme, inspirés par l’immobilité physique imposée, un « carnet de bord musical de la période » comme le dit Dominique A. Les premiers mots de Papiers froissés émergent d’un brouillard de claviers et de quelques percussions synthétiques. Avec ces « bras entravés » et ces « cœurs pilés », Vie intérieure est au diapason de ce qu’aura vécu tout un chacun. Les orchestrations minimales, les percussions polaires d’À la même place et Rien qu’un amour (plutôt chronique d’un désamour) laissent tout le champ aux mots de Dominique A, qui nous délivre ces tranches de poésie brute, comme l’illustre encore Quand je rentre, le texte s’appuyant sur deux accords et de discrets overdubs. L’ascèse que s’est imposée Dominique A : improviser à partir de bases mélodiques et une économie de moyens : quelques claviers, une guitare, une boîte à rythmes et un huit pistes numérique.
Quant au morceau Vie étrange, il évoque l’absence du chanteur Christophe, parti discrètement en avril dernier, dans un hôpital à Nantes (drôle de coïncidence). « Plus de mots bleus », « Quelle vie étrange » constituent les seuls mots de cette prière lancée à celui qui n’est plus avec, pour accompagner la litanie de la voix et du synthétiseur, la pluie qui tombe au dehors. Mais après les intempéries… le soleil finit toujours par percer, malgré le fait que « l’hiver dure trop longtemps », et que « les mois s’étirent, se ralentissent ». L’éclaircie est une reprise du groupe Marc Seberg, enregistrée là encore en réaction à un triste événement, la disparition de son chanteur Philippe Pascal (qui a également poussé la voix au sein de Marquis de Sade). C’est ce titre qui a déclenché tout le reste.
Les premières pistes de Vie intérieure ne vous jetteront pas dans un optimisme échevelé, car Dominique A a souhaité évoquer le confinement de A à Z, les écueils qu’appelle nécessairement cette situation inédite, les doutes, les introspections. Voies intérieures. Penser à l’avenir, ressasser. Avec ces chansons dépouillées, brèves et flirtant parfois avec l’état de démos, on pense à La Fragilité, précédent album il y a deux ans, qui avait pris le parti de chansons pop folk, subtiles et élégantes. Les six nouveaux titres composés après le déconfinement dévoilent cependant une autre humeur. Les guitares reviennent, la voix prend un peu d’ampleur, et l’on voit poindre la lumière à l’extérieure.