Programme chargé en ce début d’année pour Dominique Pitoiset. Le directeur de l’Opéra de Dijon enchaînera deux mises en scènes lyriques, avec tout d’abord Le Tour d’écrou, d’Henry James, du 26 février au 2 mars, avant de retrouver Armide, poème du Tasse mis en musique par Lully du 25 au 29 avril. Après une Périchole enjouée donnée en début d’année, mise en scène par Laurent Pelly, la suite de la programmation lyrique nous transportera dans une atmosphère plus sombre en pleine campagne anglaise.
À l’origine commande de l’Opéra National de Bordeaux (2008), cette œuvre que Dominique Pitoiset qualifie d’intimiste sera donnée non pas à l’Auditorium mais sur la scène du Grand Théâtre à Dijon, l’opéra, quasi chambriste, ne faisant pas appel à un chœur ici. « Le dispositif musical est assez réduit puisque Britten a composé sa partition autour de quatre notes qu’il développe avec treize instrumentistes », explique le directeur. Des solistes de l’Orchestre Victor Hugo interpréteront ainsi la partition sous la direction d’Elizabeth Askren, qui connait particulièrement bien le répertoire de Britten. Avec Le Tour d’écrou, Dominique Pitoiset a l’opportunité de se consacrer à un compositeur peu joué dans nos contrées.
Dans un manoir, une gouvernante s’occupe de l’éducation de deux orphelins. L’action se passe dans l’est de l’Angleterre, d’où est originaire Benjamin Britten. Nous sommes ici en présence d’un opéra fantastique puisque les enfants, Flora et Miles, sont harcelés par deux fantômes : un ancien serviteur, Peter Quint, « qui va apparaître à la gouvernante plusieurs fois et qui cherche à corrompre l’enfant si ce n’est déjà fait », explique le metteur en scène, « et l’ancienne servante qui est décédée, noyée dans le petit étang sur la propriété, qui a été vraisemblablement la maîtresse de Quint et a subi ses violences ». Cette dernière s’est suicidée peu de temps auparavant et elle tente d’emporter la jeune fille avec elle. Si la nouvelle d’Henry James nous présente une fille plus jeune que son frère, Britten inverse la situation. Dans son adaptation, elle devient la sœur aînée qui prend soin de son frère. Avec Éléonore Nossent, assistante à la mise en scène, Dominique Pitoiset est allé chercher deux jeunes interprètes à la Maîtrise des Hauts-de-Seine : Henri François-Dainville et Marie Texier.
Du côté de la mise en scène, le Grand Théâtre a semblé l’endroit le plus approprié. « C’est un lieu où il y a tellement de présence, tellement d’ombre, et disons le simplement… de fantômes qui peuvent être des présences assez positives en fait ! », fait remarquer Dominique Pitoiset. Les prochains travaux du Grand Théâtre, qui se dérouleront en 2024, vont d’ailleurs consister à respecter « l’esprit du lieu » comme le rappelle ce dernier. Le directeur de l’Opéra de Dijon évoque également le titre de l’opéra. « À chaque scène ou à chaque variation, […] il y a un tour d’écrou qui oppresse un peu plus. Le sens, c’est l’étouffement, comment extirper l’alien qui habite ces enfants en exfiltrant la jeune fille, et en essayant de faire en sorte que le garçon nomme son fantôme. En l’admettant c’est un peu comme s’il le chassait ou s’en libérait…» Au-delà du conte fantastique, Le Tour d’écrou prend aussi une résonnance psychanalytique. L’enfance abusée est d’ailleurs un sujet récurrent dans l’œuvre de Britten (comme lorsqu’il adaptera, entre autres récits, Mort à Venise de Thomas Mann). « Il a confié qu’il avait vraisemblablement fait l’objet d’abus dans un pensionnat anglais. » Dans une conversation à retrouver sur le site de l’OD, Dominique Pitoiset fait d’ailleurs remarquer qu’ « à l’époque de Britten nous ne sommes plus du côté du spiritisme dix-neuvièmiste à la Victor Hugo, mais bien à l’ère de l’analyse d’un inconscient théorisé comme tel.»
Propos recueillis par Caroline Vo Minh
Le Tour d’écrou, Opéra de Dijon (grandD théâtre), 26 février à 15h, 28 février à 20h, 2 mars à 20h
https://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-22-23/le-tour-d-ecrou/