Pour sa première mise en scène en tant que nouveau directeur de l’Opéra de Dijon, Dominique Pitoiset a choisi Così fan tutte de Mozart. Deux jeunes hommes décident de tester la fidélité de leurs fiancées. Chacun se déguise alors pour tenter de les séduire et découvrir si elles font vraiment toutes ainsi… « Così fan tutte ? » comme disent les Italiens et comme le pense le vieux philosophe Don Alfonso, incitant les deux hommes à remettre en cause leurs convictions.
Les deux couples que forment Ferrando et Dorabella, et Guglielmo et Fiordiligi, font office de cobayes pour Don Alfonso, comme le souligne Dominique Pitoiset qui situe l’action de cet opéra dans un musée. L’ami des deux jeunes hommes pense que la fidélité ne peut résister à la tentation, et à l’instar de L’Île des esclaves de Marivaux, où les positions de maîtres et serviteurs sont inversées, les deux amants se prêtent à une expérience qui doit éprouver les sentiments de leurs aimées. En sortant les deux couples de leur milieu social habituel, Don Alfonso manipule « quasiment des atomes d’humanité, indépendants les uns des autres, et cherchant à établir ou préserver les liaisons qui s’établissent entre eux », explique Dominique Pitoiset. « Ces liaisons ne dépendent plus d’un champ politique ou social, comme chez Marivaux. Plus personne pour tirer en coulisses les ficelles qu’offrent la richesse ou le pouvoir pour manipuler à leur insu les marionnettes du sentiment. »
Mais derrière la comédie, le metteur en scène perçoit autre chose, « [un désir plus vertigineux, qui tiendrait autant de Thanatos que d’Éros. Quelque chose, donc, qui nous conduirait du côté de la pulsion de mort. » Ferrando et Guglielmo remettent en cause leurs couples respectifs, mais aussi leur existence en tant qu’amants. Ils se retrouvent confrontés à un dilemme : soit leurs compagnes leur restent fidèles et ils se découvrent en quelque sorte prisonniers d’un destin écrit pour eux, ou au contraire elles transgressent le pacte qui les unit et ils perdent ainsi leur statut de jeunes hommes irrésistibles. « Dans les deux cas, ce qu’ils estiment constituer leur humanité – et qui passe, notons-le, par leur virilité – a été aboli ».
L’opéra de Mozart questionne aussi la notion de liberté à une époque où la société se trouve encore sous l’emprise de schémas rigides, mais aussi dans un XVIIIe siècle communément appelé Siècle des Lumières où plusieurs verrous moraux commencent par ailleurs à sauter. « Mozart est pleinement de son siècle, et son génie est assez vaste pour orchestrer en même temps, sur différentes portées, les tessitures de Sade et celles de Rousseau. La cruauté et l’attendrissement, le sentiment et sa critique. La comédie et la vérité tragique. Et la musique qui fait entendre le caractère à la fois complexe et immédiatement sensible de leur enchevêtrement, voire de leur confusion.»
– Paul Sobrin –
Così fan tutte, Opéra de Dijon (Auditorium), 6 février à 15h, 8, 10
et 12 février à 20h – opera-dijon.fr