ROMAN
Grasset
Parution le 2 octobre 2024
Les vies des artistes, on pourrait en faire tout un roman. Dan Franck ne s’en prive pas avec ce premier opus consacré au courant romantique. L’auteur inaugure un cycle de quatre livres autour des grands créateurs du XIXe siècle, de 1820 à 1885, ère de bouleversements successifs qui vont façonner la France telle que nous la connaissons aujourd’hui. Une époque où s’inventera aussi la littérature moderne.
Et puisque « le romantisme est l’enfant de la Révolution », Dan Franck évoque dans ce premier tome les jeunesses de grands romanciers en devenir: Dumas montant à Paris avec l’ambition d’entrer
« dans le grand monde », Balzac « en quête d’argent autant que de gloire »… La jeunesse, rebelle comme il se doit, toujours sûre d’elle, souvent insolente
(« Nous allons combattre cette vieille littérature crénelée, verrouillée », promet Hugo qui n’a pas trente ans). Berlioz poursuit la même quête sur ses partitions : « moderniser la musique, inventer des rythmes inconnus, développer une écriture audacieuse.» Avec un talent de synthèse mêlé au style qu’on lui connait, Dan Franck entrecroise les parcours de plusieurs fondateurs du romantisme, évoquant quelques œuvres clés comme Henri III de Victor Hugo, «[t]out le contraire des canons classiques ». De courts chapitres content leurs péripéties littéraires et politiques, certains se comportent même comme de véritables aventuriers à l’image de Dumas qui n’hésite pas à aller chercher de la poudre à Soissons pour la garde nationale.
Il faut dire que le XIXe siècle possède tous les ingrédients d’un roman captivant : crises politiques, peuples qui se soulèvent… Les émeutes lors de l’enterrement du Général Lamarque en 1832 inspireront d’ailleurs à Victor Hugo, quinze ans plus tard, ses Misérables. En cette période de bruit et de fureur, où duels et épidémies sont encore monnaie courante, on danse souvent sur des cendres. Dan Franck redonne chair à ces grandes figures d’artistes qui prennent parfois, il faut bien l’avouer, la poussière sur nos étagères, pratiquant tour à tour la critique sociale et le roman à l’eau de rose (l’idylle entre Sainte-Beuve et Adèle Hugo en est un bel exemple). L’auteur n’oublie pas quelques créatrices, dont l’incontournable George Sand, histoire d’émancipations féminines à une époque où il faut encore demander un « permis de travestissement » pour être autorisée à porter un pantalon.
Dan Franck écrit aussi le roman d’un siècle où les innovations vont se succéder à l’image de la Société des gens de lettres. Le roman des artistes évoque les carrières de ces derniers, et notamment l’art du feuilleton, la littérature populaire d’Alexandre Dumas qui fera les belles heures et surtout les belles pages de la presse. Mais les années passent, les jeunes loups prennent de l’âge, certains font moins recette. La mort s’invite. Victor Hugo perd sa fille Léopoldine. C’est aussi au milieu du XIXe siècle, avec la Révolution industrielle, que va naître la classe ouvrière qui se structure peu à peu. Les artistes sont là pour rendre compte de ces moments forts de l’Histoire de France, comme l’illustrateur Honoré Daumier dénonçant dans ses satires la collusion entre monarchie et bourgeoisie, comme Delacroix et sa Liberté guidant le peuple. Au mitan du XIXe siècle, Eugène Sue avec ses fameux Mystères de Paris, rend possible le « dévoilement de voix jusqu’alors inaudibles ou rejetées ». La Révolution de 1848 n’est pas loin mais cela, c’est une autre histoire.
Dominique Demangeot