> Article publié à l’origine dans le numéro d’avril-mai 2016 du journal Diversions Bourgogne – consulter ici –
Maëlle Poésy, artiste associée à l’Espace des Arts depuis janvier 2012, invente avec Kevin Keiss une société où le blanc l’a emporté dans les urnes. Que faire suite à cette tempête électorale sans précédent ? Dans cette pièce d’anticipation politique, la Compagnie Crossroad cherche aussi à comprendre les rouages d’une classe politique qui s’est peu à peu déconnectée des préoccupations des citoyens qu’elle est censée représenter, et comment l’on peut passer rapidement d’une société dite démocratique à un système totalitaire.
Après la « crise blanche », le gouvernement veut comprendre. Comprendre comment les citoyens en sont arrivés là. L’État d’exception est déclaré. Très vite, le Ministre de la défense souhaite y substituer l’État de siège. Émilien Lejeune, à la tête des services de la Vérité, mène l’enquête. Il s’agit d’enrayer à tous prix, et par tous les moyens, cette vague blanche qui déferle sur le pays. « Notre histoire est celle d’une révolution par les urnes et de ses conséquences », explique la Compagnie Crossroad (Drôle de Bizarre). Pour mener à bien ce nouveau projet autour de la crise citoyenne, la compagnie s’est inspirée d’événements historiques comme la Commune et la fuite des ministres de Thiers, mais aussi d’OEdipe Roi de Sophocle, et de La survivance des lucioles de Georges Didi-Huberman.
Dans la pièce, des « experts en repérage » sont là pour tracer des « suspects ». Avec les six acteurs au plateau, Maëlle Poésy souhaite analyser « le corps politique », son surgissement, son fonctionnement mais aussi la manière dont il peut se destructurer, lorsqu’il arrive au « mensonge » et à la « représentation publique ». La pièce va donc notamment tourner autour de cette parole politique vidée de son sens, et de ce double discours – public/privé, politique/intime – permanent. En réaction, survient alors le vote blanc, vécu comme une perte de repères, symbole vibrant de l’abandon de leurs représentants par les électeurs. D’ailleurs « une mer de papiers blancs », comme le dit la metteur en scène, envahit à un moment le plateau, comme pour illustrer cette tempête blanche dans laquelle on ne voit plus rien. Après une première tempête, réelle avec des trombes d’eau s’abattant sur la ville, puis la tempête électorale, les personnages se retrouvent dans un monde nouveau, fui par les dirigeants, comme lavé par les deux déluges sus-cités, ruines sur lesquelles on ne peut que rebâtir.
Ceux qui errent ne se trompent pas utilise aussi l’élément vidéo. L’image pour illustrer l’importance centrale des médias et de la communication politique aujourd’hui. « De l’image que nous percevons de tout cela, qu’est ce qui est vrai et qu’est ce qui ne l’est pas ? » s’interrogent Maëlle Poésy et Kevin Keiss. L’image également comme forme du témoignage, de l’intime. Car il s’agit bien de continuer à questionner le système politique qui sous-tend notre société, à s’interroger sur des dispositifs aussi controversés que les mises sur écoute, des méthodes qui feront nécessairement écho à d’autres comme l’actuel État d’urgence qui suscite bien des polémiques. « Ceux qui errent ne se trompent pas me parle de la fragilité du système démocratique et surtout de l’étonnante facilité avec laquelle ce système peut se transformer en totalitarisme si il n’est pas protégé et questionné », souligne Maëlle Poésy. « Et puis l’acte électoral que représente-t-il ? Une célébration de la démocratie ? Un mensonge consenti ? », demande encore Kevin Keiss.
– Dominique Demangeot –
Ceux qui errent ne se trompent pas, Théâtre Piccolo, Chalon-sur-Saône, du 10 au 12 mai à 20h – www.espace-des-arts.com
Également à Dijon, dans le cadre du festival Théâtre en Mai, du 21 au 23 mai (Théâtre Mansart) – www.tdb-cdn.com