ROMAN
Albin Michel
Parution le 4 janvier 2023
Jacques, conducteur de métro, nous présente la « faune souterraine » qu’il connait si bien, après tant d’années passées à mener son long serpent d’acier à travers les entrailles parisiennes. À chaque station de la ligne 6 son personnage, ses belles histoires ou ses anecdotes sordides sous le ciel de faïence du Métropolitain.
Jacques sait reconnaître la poésie qui l’entoure, la magie d’un quotidien que l’on déprécie souvent. « Le quotidien c’est beau, c’est comme la matière noire. On n’y prête pas attention mais c’est habité. » Alors le conducteur de rame décide un jour de consigner par écrit toutes ces vies qui défilent. Dans le « monde d’en-bas », son métier le place à la croisée de nombreuses destinées, conjonction de vies souvent cabossées et personnages hauts en couleur, chanteurs et musiciens, prédicateurs, SDF philosophes. Suivre Jacques dans son tunnel, c’est parfois prendre aussi conscience que la vie ne tient qu’à un fil.
Céline Laurens s’intéresse à celles et ceux qui ont choisi de vivre à l’écart de la société, loin du soleil. Sous un ciel de faïence, c’est aussi le récit de la relation qui unit Jacques à Madeleine – comme la station -, rencontrée un jour sur son lieu de travail, Madeleine fantasque et hypocondriaque, grande gueule qui a, elle aussi, quelques démons à faire taire. Alors certes le théâtre du métro n’est pas toujours reluisant, notamment le long de la ligne 12, la plus profonde, abysse jonché de junkies et autres individus peu recommandables – voire carrément abjectes – fantômes errants sous la terre. La RATP accueille aussi les provinciaux singeant les Parisiens et les « bourgeois à poussettes », rois de la (sur)consommation qui eux, au contraire de Jacques, ne font pas vraiment attention à ce qui les entoure. Le métro comme un condensé de l’époque actuelle. Céline Laurens, Prix Roger Nimier 2022 pour Là où la caravane passe, délaisse les gens du voyage pour les voyageurs du quotidien et nous fait ressentir l’« ivresse des profondeurs » avec ce deuxième roman qui est aussi un bel hommage à certains lieux de la capitale dont on peut apprécier quelques architectures. Car la ligne 6 est parfois aérienne, comme l’écriture de la romancière.
Marc Vincent