ROMAN
Albin Michel
Parution le 21 août 2024
Céline Laurens nous transporte dans un petit village de l’Ariège où trône une imposante demeure. Jusqu’au jour où ses propriétaires périssent dans un incendie. Surgissent alors plusieurs voix qui nous en apprennent davantage sur cette famille que l’on qualifierait aujourd’hui de dysfonctionnelle, revenant sur son passé et celui de ses proches voisins.
Si les maisons de maître ont connu leur âge d’or dans la deuxième moitié du XIXe siècle, elles ont aujourd’hui perdu leur faste, quand elles ne sont pas laissées en ruines, proies des amateurs d’urbex, nouvelle pratique à la mode consistant à aller visiter les demeures laissées à l’abandon. Dans le dernier roman de Céline Laurens, ce sont les voix des vivants et des morts qui nous font faire le tour du propriétaire pour tenter de comprendre qui était cette famille et qui a mis le feu à cette maison bourgeoise. Lorsqu’Élise est embauchée comme domestique, elle découvre une demeure sclérosée par les regrets et les non-dits. Des tensions qui s’accumulent au fil des années, à l’instar de la poussière qui s’est déposée partout. Comme ces lézardes dans les murs que l’on a cachées derrière de somptueuses tapisseries. Qui était Esther, avant qu’elle passe ses journées à fixer l’extérieur depuis sa fenêtre ? Comment une telle distance a-t-elle pu s’installer entre elle et Armand, son époux ?
Un roman troublant, au style aussi lumineux que le décor est sombre, voire gothique par moments. La mort rôde, la maison implantée sur une ligne maudite entre prés et cimetière, zone grise entre vie et trépas. Dans la France rurale du début du XXe siècle vraisemblablement, la religion voisine avec d’autres croyances. Légendes et rumeurs galopent dans la campagne environnante, et le mystère de l’au-delà fascine autant qu’il terrifie : « Leurs corps vont attendre de se dissoudre dans le grand tout d’en-dessous, leur âme s’élever à se dissoudre dans le grand tout du dessus. » Serait-ce la foudre, ou la colère divine qui a mis à bas la maison de maître, ou bien alors « le Mérou », incendiaire sévissant dans les environs ? « Le feu purifie. Le feu efface ». Comme une rédemption. Pour apaiser les cœurs aussi. À sept ans Abel, le fils de la famille, a décidé de ne plus grandir, « tristes les adultes, et déjà morts », pense-t-il. Céline Laurens trace aussi un parallèle avec des préoccupations féministes très actuelles à l’image d’Élise : « à nous les femmes », avoue cette dernière, « on nous apprend à pas faire d’histoires ». Et si Esther reporte sur sa fille Mallora ses propres frustrations, il faut peut-être aller chercher l’origine de cette maltraitance dans sa propre enfance, et son statut d’épouse au début du XXe siècle. « Qui sommes-nous désormais ? » s’interroge son mari, qui a vu la noblesse dépérir peu à peu. Mais les temps changent. Nos enfants seront peut-être plus heureux et meilleurs que nous.
Paul Sobrin