Survivre ne suffit pas, c’est le nom de la nouvelle exposition à suivre en ce début d’année à la Cité des Arts, une affirmation inspirée à la directrice du Frac Franche-Comté, Sylvie Zavatta, suite à la lecture d’un roman, Station Eleven, nous plongeant dans un monde post-apocalyptique. Sous le commissariat de Sylvie Zavatta, Survivre ne suffit pas n’évoque certes pas une apocalypse prochaine mais pointe divers travers de notre ère moderne, des motifs d’inquiétude tels que les dérives d’internet, la situation économique ou encore la perte de repères.
L’exposition est également l’occasion de découvrir des œuvres acquises récemment, au cours des trois dernières années. Une manière de souligner le rôle de conservation que jouent les Fonds régionaux d’art contemporain. « Il s’agit de donner à voir les choix qui ont été opérés par le comité d’acquisition du Frac, un volet auquel nous souhaitons donner une visibilité particulière auprès du public », souligne Sylvie Zavatta. Tout comme la troupe de théâtre, dans le roman d’Emily St. John Mandel, qui sillonne la région du lac Michigan pour faire résonner les vers de Shakespeare et les harmonies de Beethoven, signifiant ainsi le rôle fondateur de la culture pour l’espèce humaine puisque « survivre ne suffit pas », les artistes conviés par le Frac Franche-Comté évoquent des thématiques très actuelles en posant sur leurs contemporains des regards aiguisés mais décalés, construits mais poétiques.
Deux grandes parties semblent apparaitre dans l’exposition. Dans un premier temps, une sélection de pièces fait notamment appel au son et à la voix, pour évoquer des questions de société à l’image d’Afterword Via Fantasia, au rez-de-chaussée, une vidéo de Catherine Sullivan qui mêle création artistique et lutte identitaire afro-américaine. Les questions politiques se rencontrent particulièrement dans cette première partie d’exposition, et se poursuivent dans les deux premières pièces de l’étage, avec par exemple L’effeuillage des effacements, qui évoque des annulations de dettes de 2400 av. JC à nos jours. À l’image de la troupe de théâtre de Station Eleven qui permet à la culture de survivre après la chute de l’humanité, Alain Bernardini, en filmant, écoutant et photographiant des jardiniers sur leurs temps d’inactivité, transfigure la banalité. L’intervention de l’artiste, son regard et le montage final donnent à ces moments d’inactivité supposément creux, un réel intérêt.
Si le monde réel semble souvent sourd à la création artistique, à l’image de cette chanteuse soliste filmée par Anna Holveck, poussant la voix dans le hall d’entrée d’un centre commercial dans l’indifférence la plus totale, l’art ne cesse pourtant pas d’exister comme semblent nous le dire les Petites Fleurs de l’Apocalypse de Régis Perray, en mémoire de la Grande Guerre, ou encore l’installation de Rei Naito qui fait référence à la vie après Hiroshima. L’artiste se joue du temps, réactive la mémoire, crée aussi du lien comme l’évoquent les deux œuvrent qui donnent congé au spectateur. Avec Duet, Ari Benjamin Meyers a composé une partition baptisée Me et You, à interpréter à deux voix, celle du médiateur et celle du visiteur. Aucune connaissance musicale préalable n’est requise. La coopération sous-tend également Cuban Samba Remix, l’artiste Shimabuku ayant placé des bidons sous une tuyauterie qui fuyait. Il a mis à profit le son de cette rythmique improvisée et a convié deux musiciens, Kassin et Arto Lindsay, à venir jouer sur cette partition en la remixant, leur offrant un espace d’expression.
– Dominique Demangeot –
Survivre ne suffit pas, Frac Franche-Comté, Besançon (Cité des Arts), du 3 février au 28 avril
https://www.frac-franche-comte.fr/fr/survivre-ne-suffit-pas