Depuis octobre, le Frac Franche-Comté expose l’installation de l’artiste plasticien Thierry Liégeois, intitulée Les assoiffés. Le Belfortain a planté dans un sol aride des créatures rappelant nos populaires nains de jardins, qu’il abreuve de (trop) rares gouttes d’eau, comme un rappel que notre planète, elle aussi, tire la langue.
Quelle est l’origine de la création des Assoiffés ?
Cette pièce a été créée sur une invitation un peu particulière de l’École d’art de Belfort qui m’a proposé de faire un workshop et une exposition personnelle, avec la contrainte d’évoquer la question de l’écologie. J’ai choisi de travailler sur les oyas pour une raison assez concrète: j’ai moi-même un jardin ouvrier depuis quelques années pour me confronter justement à des notions de permaculture, redécouvrir le goût des légumes avec une idée d’autonomie.
Votre installation évoque notamment le thème du réchauffement climatique.
Les sècheresses qui ont eu lieu en 2019 et 2020 m’ont amené à me poser cette question puisqu’on avait une interdiction de prélever dans les sources, donc ça demandait beaucoup de réserves d’eau et surtout économiser un maximum l’eau. C’est là que j’ai découvert les oyas et ce que ça permettait d’économiser en eau, de l’ordre de 50 à 70%.
Ces dispositifs prennent une forme très particulière, et décalée…
J’ai choisi de leur donner une figure de nain de jardin. Au Moyen-Âge on est plutôt sur une figure mythologique liée au souterrain, à la forêt, la transformation des matériaux comme l’acier. Plus tard, le nain va devenir en Allemagne et en Scandinavie une sorte de protecteur du mineur, c’est une figure de travailleur. Le nain qu’on connait le plus s’est popularisé vers 1914 entre l’Allemagne et l’Angleterre, pour la simple et bonne raison que l’Allemagne avait la capacité et les artisans pour produire de la
céramique. Le nain de jardin est là pour protéger la maison.
Comment fonctionne l’installation ?
Ce qui m’intéressait c’était d’utiliser cette figure qui est kitsch et de la ramener dans quelque chose de post-apocalyptique. On a cette installation complètement désertique avec très peu de nuances de couleurs. Ce nain n’est pas coloré et ne sourit pas, dépourvu de bras et de jambes. Je le mets dans une position de totale inaction : il ne devient plus qu’un ventre, consommateur dans l’attente d’une instance supérieure. Une machine gère des gouttes d’eau qui lui sont distillées.
Comment avez-vous conçu la scénographie ?
C’était important que ce soit encadré, qu’on ait la sensation d’un jardin bien entretenu, mais pour moi le cadre signifie les rigueurs administratives, et parfois un manque de liberté.
Le sol autour des nains/oyas est recouvert de paillage, une référence là encore à la préservation des sols ?
Avec l’utilisation du broyat, il y a cette idée d’évoquer la mort mais sans passer par une figure romantique comme la feuille morte qui est un peu lourde. Ce qui est intéressant c’est que le broyat reste aussi une matière qui va se transformer en compost par les insectes, par l’eau et va resservir de base pour faire pousser de nouvelles plantes. Il y a tout de même dans cette image un peu désertique l’idée d’un possible renouveau. Pour le système de gouttes d’eau, l’idée était de trouver le bon équilibre. Il y a cette idée d’un début d’orage et en même temps, un lien avec une image qu’on peut se faire de la caverne et de la grotte, avec ces gouttes qui tombent de temps à autre, tout en ayant un rythme suffisamment important pour qu’on ait une mélodie qui reste discrète.
Propos recueillis par Caroline Vo Minh
Thierry Liégeois, les assoiffés,
Besançon, Frac Franche-Comté, jusqu’au 2 janvier 2022
frac-franche-comte.fr