En parallèle de Syncopes et Extases. Vertiges du temps, le Frac Franche-Comté accueille dans sa salle du rez-de-chaussée une autre exposition, proposée par le musicien et performeur Nino Laisné. Pour le Frac, il a tourné à la Cour d’Appel de Besançon en août dernier, une vidéo qui s’inspire d’un horloger resté célèbre pour ses falsifications.
Lors d’une résidence au Frac Franche- Comté, Nino est parti d’un objet conservé au Musée des Arts et Métiers : La joueuse de tympanon, automate ayant appartenu à Marie-Antoinette. Il représente la Reine, assise face à un tympanon rangé dans le corps d’un clavecin. « C’est un instrument à cordes frappées », nous expliquait Nino Laisné en octobre dernier, « et le mécanisme qui est caché sous sa robe, d’une grande complexité, permet d’animer la poupée et de jouer huit airs différents ». Fasciné par cet objet dont le son provient réellement de l’instrument, et non pas du mécanisme lui-même, Nino fut d’autant plus intéressé qu’il est issu d’une famille d’horlogers ! Lors de son apprentissage de la musique baroque, il a par ailleurs commencé à étudier le psaltérion, proche cousin du tympanon. « Je crois aussi que cet objet cristallisait un peu un rêve d’adolescent de pouvoir m’en approcher et lui confier des nouvelles mélodies, lui écrire un projet juste pour lui ». Il a collaboré avec un horloger, Francis Plachta, qui enseigne à Morteau. « Il a été assez fou pour accepter ce défi de réaliser une contrefaçon, une réplique qui a tout l’air d’être exacte par rapport au mécanisme original, mais qui a une légère modification ». Le grain de sable introduit par Nino dans cette mécanique bien huilée, c’est une mélodie qui a été substituée à l’un des huit airs. « Dans ce mécanisme, se cache une berceuse dont j’ai trouvé la trace dans les correspondances de Marie-Antoinette, un texte très troublant qui résonne avec l’histoire puisque c’est une berceuse tragique qui explique qu’elle est seule avec son enfant, face au destin et au peuple qui se dresse comme des infortunés ».
En écho à cette première falsification, un film a également été réalisé par Nino Laisné, qui évoque là encore une imposture, pour traiter comme le dit Nino, « cette question de la véracité des documents d’archive qu’on présente dans les musées, ou l’histoire officielle qu’on nous raconte ». L’artiste s’est basé sur l’affaire des faux Louis XVII. Nombreux en effet furent ceux à se présenter, après la Révolution, comme le dauphin Louis XVII, prétendant au trône de France et à divers héritages. Parmi eux, un horloger allemand, Karl-Wilhelm Naundorff qui est passé devant les tribunaux pour usurpation d’identité, falsifications de documents et autres larcins… C’est le personnage principal du film, qui nous interroge notamment sur le rapport trouble de l’horloger avec la réalité. « Plus il avançait dans sa vie, moins il était raisonné. Il était dans une autre réalité ». On retrouve dans le film l’automate falsifié pour l’exposition au Frac Franche-Comté. Notons que l’imposture opère jusque dans le casting puisque l’acteur qui interprète l’horloger, Cédric Eeckhout, emprunte la voix du chanteur Marc Mauillon, originaire de Franche-Comté. « Ce double casting pour le rôle principal était intéressant pour moi, dans le sens où ça répond aussi à ce principe d’imposture où on est face à un acteur à l’image, qui emprunte la voix de quelqu’un d’autre ». Citons encore la participation de Myriam Rignol, qui enseigne la viole de gambe au CRR du Grand Besançon, et qui a joué de la viole sur Plainte d’une femme auprès du berceau de son fils, (d’après A. Berquin, J. Cousin et J.J. Rousseau /arrangement : Nino Laisné). L’exposition présente en outre un dessin réalisé par Nino, reprenant les codes de la caricature au XIXe siècle. Nino Laisné évoque ici encore la falsification, représentant l’horloger Karl-Wilhelm Naundorff, « qui, comme dans la fiction, est confronté à l’automate, la joueuse de tympanon, ce qui finalement est assez peu probable dans l’histoire réelle, et qui la manipule un peu comme une marionnette ».
– Dominique Demangeot –
Nino Laisné – L’air des infortunés, Besançon, Frac Franche-Comté (Cité des Arts), du 13 octobre au 12 janvier
https://www.frac-franche-comte.fr/fr/nino-laisne-lair-des-infortunes
Reportage sur le week-end WE FRAC 2019