Article publié à l’origine dans l’édition février 2018 du journal Diversions – consulter le PDF ici –
La compagnie de La Belle Meunière aime les matières. Il y a eu le sable, la tôle, les pneus… Elle s’intéresse désormais aux matières molles. Pierre Meunier et Marguerite Bordat portent aujourd’hui leur attention sur la vase, qu’ils étudient à l’occasion de cette création à voir prochainement à La Filature de Mulhouse et à l’Espace – Les 2 Scènes (en partenariat avec le CDN Besançon Franche-Comté).
« Un bonheur m’a été interdit, il se révèle sans limite », commente Pierre Meunier à propos de cette matière malléable mais qui se laisse difficilement dompter. Cette vase, il a donc d’abord fallu apprendre à la connaître, l’envisager sous toutes les coutures et surtout coulures. Quand le théâtre s’empare de questions d’actualité, non pas métaphysiques… mais purement physiques!
« Pertes d’appuis », « vacillement des certitudes », tel est le lot des créateurs devant la vase. Une remise en question qui devient moteur de création. « Après l’écroulement des appuis fondateurs, il faut donc apprendre à vivre autrement, à se penser autrement, à se rassurer autrement, à trouver d’autres raisons de croire en l’avenir », explique Pierre Meunier. « Ce qui reste enfoui au fond de la vase peut libérer l’imaginaire en ouvrant un champ où déployer notre puissance de création… ». Une matière qui renvoie aussi à des thématiques sociales, comme lorsque la compagnie rencontre, lors de la préparation de la création, des habitants d’un bassin minier, durement éprouvés par l’effondrement de leur secteur d’activité.
Depuis une « immersion dans la vase » en Baie de Somme à l’été 2015 à l’expérimentation des matières aux Grands Ateliers de Villefontaine, en passant par des rencontres avec des chercheurs, le chemin fut long avant la première en novembre dernier à La Comédie de Clermont-Ferrant. La vase, une affaire de sensation avant tout, que la compagnie a notamment côtoyée dans des marécages. « Mon corps écarte du mou sur son passage. Le mou ne demande qu’à s’écarter puis à se refermer, avec la même indifférence », confie Pierre Meunier. « Et puis comme si rien ne s’était passé, le mou se rejoint, se rapproche, effaçant par ce retour la creuse sculpture de mon corps si fortement désiré ». Suite à cette expérimentation, des mots naissent, qui vont constituer la trame de la pièce. La vase comme un refuge, une retraite mais aussi un rite de passage. La souille avant la renaissance. La peur aussi, crainte de l’inconnu et de l’exil, de la ruine… Car la vase, c’est aussi le « réceptacle des excréments de l’eau et de la terre » avec ses « exhalaisons malsaines ». Plonger dans la vase, c’est donc quitter la civilisation et partir pour un ailleurs, pour un inconnu, mais c’est aussi exploiter le potentiel burlesque d’une telle matière.
– Marc Vincent –
La Vase, La Filature, Mulhouse, 21 et 22 février – www.lafilature.org
L’Espace – Les 2 Scènes, du 6 au 9 mars – www.les2scenes.fr / www.cdn-besancon.fr