RAP ROCK
A Parté
Quelques semaines avant le premier confinement sortait Gangrène, premier album du groupe Ausgang, qui voit la collaboration de Casey avec un trio rock electro. La rappeuse originaire du Blanc-Mesnil revient à la fusion du rock et du hip-hop qui avait fait son succès il y a une dizaine d’années avec Zone Libre en compagnie de Serge Teyssot-Gay. Au sein d’Ausgang, on retrouve d’ailleurs Marc Sens aux guitares et basse, qui avait pris part aux trois premiers opus de Zone Libre. À ses côtés, la batterie volubile de Sonny Troupé et les machines de Manusound.
Voici une équipe particulièrement affûtée, qui a les armes pour porter très haut les lyrics acides de Casey. Le titre de ce premier album est sans équivoque. Les quatre artistes ne sont pas là pour compter fleurette, mais plutôt nous éclairer sur une certaine situation du monde en ce début de décennie 2020. Faut-il vraiment adopter une « bonne conduite » dans notre nouvelle société hyper-sanitaire ? Le titre éponyme évoque quant à lui un monde qu’il faut bien qualifier d’anxiogène, avec nos visages fliqués par des caméras et la « norme » à respecter (la seule et l’unique). Le premier extrait de l’album, Chuck Berry, sorti en février dernier, développe une filiation avec le pionnier afro-américain de la guitare électrique, à l’instar de Jimi Hendrix, un héritage qui se transmet à travers les larsens et l’envie de délivrer un message au milieu des décibels – de préférence forts, les décibels -. Chuck Berry comme une figure tutélaire, la formation dénonçant bien évidemment le racisme « systémique » tristement mis sous les feux de l’actualité à l’occasion de l’assassinat de George Floyd en mai dernier.
Mais sur Gangrène, le rock poursuit sa mutation, possédant tour à tour la rugosité du punk (Bâtard), hérissé et libre comme la noise, prenant parfois des couleurs plus hard (Crapule, petit traité s’asocialité !) ou des atours pop (Aidez-moi). « Les sentiments partent, la haine reste », tout l’album pointant finalement du doigt cette lente descente en enfer des exclus (et il y en a un paquet chez nous). Il y a évidemment du Rage Against The Machine dans ces riffs de guitares assénés comme de grosses gifles, cette section rythmique qui boxe, et bien sûr les paroles proférées par Casey appelant à la résistance. La production, brute, laisse toute la place à la spontanéité du groupe. Les guitares de Marc Sens installent des ambiances, des climats, souvent sombres et énervés. Manusound, aka Emmanuel Leonard, s’il commande les machines sur Gangrène, a des origines punk, avant de glisser peu à peu vers la Dub et les manipulations électroniques.
Citons notamment le so(m)bre Elite, qui s’avance à pas de loups mais n’en pense pas moins : « Tu t’crois seul et protégé mais ton monde va changer ». Quant à la section rythmique, elle est assurée par l’éclectique Sonny Troupé, que l’on a pu entendre dernièrement sur le premier album de la jeune et prometteuse contrebassiste Sélène Saint-Aimé. Ici Sonny change d’univers, passant du jazz au rap rock, capable de mener des tempos carrés, subtil et plein de nuances à d’autres moments. Comme une ombre évoquant les abandonnés de la République, La rage m’appelle, downtempo plombé, comme une colère qui couve et n’attend qu’une étincelle pour exploser… Écouter Ausgang, c’est plonger tête la première dans un grand chaudron de rap rock en fusion.