> Article publié à l’origine dans le numéro de février-mars 2016 du journal Diversions (Diversions Alsace février-mars 2016)
Depuis le 26 janvier dernier, la Comédie de l’Est présente la dernière création de son directeur Guy Pierre Couleau, Amphitryon, adaptation d’une pièce de Molière qui s’inspirait de l’auteur latin Plaute. Avec Amphitryon, le dramaturge portait sur la scène une intrigue inspirée de la mythologie, mais une mythologie particulièrement fantaisiste, qui nous présente un général thébain partant au combat juste après son mariage avec Alcmène. Le dieu Jupiter prend alors son apparence pour rejoindre la jeune femme dans le lit conjugal…
Mercure prend quant à lui les traits de Sosie, le valet d’Amphitryon. Mais le vrai valet est de retour et tombe nez-à-nez avec son double… Le double, un thème central de cette œuvre que Molière créa à Paris en 1668. Les dieux s’amusent des humains. Les tromperies et les rebondissements se succèdent dans cette pièce qui sonnait le retour de Molière à la comédie avec un Tartuffe particulièrement sombre – que Guy Pierre Couleau mettait en scène en 2007 -, et par ailleurs interdit de représentation par le pouvoir royal. Molière n’a pourtant rien perdu de sa verve avec Amphitryon, une comédie que l’on soupçonna d’ailleurs d’être une critique dissimulée du pouvoir royal, d’un Roi Soleil faisant de ses sujets des pantins. Mais dans leurs cieux, les dieux semblent s’ennuyer. Et le directeur de la Comédie de l’Est de s’interroger : « Est-ce à dire que les dieux envient notre condition ? Molière le suggère et je ne suis pas loin de penser que son intention est très nette là-dessus ». Amphitryon évoque le désir, l’amour qui unit les êtres humains entre eux, le désir qui perpétue l’espèce et nous apporte une part d’immortalité. « Aimer c’est toucher à une autre condition de l’être humain, moins terrienne, moins prosaïque et plus impalpable », dit encore Guy Pierre Couleau. Évoquant, à l’endroit du désir, une « certaine transcendance », le directeur semble nous dire qu’il y a quelque chose de divin dans l’acte amoureux.
Amphitryon nous interroge aussi sur la notion de liberté, dans la mesure où les dieux descendent sur terre pour manipuler les hommes qu’ils ont créés. Le vol de l’apparence du valet Sosie est particulièrement emblématique de cela – le terme restera d’ailleurs pour définir une ressemblance saisissante entre deux personnes -. « Sosie est entièrement volé, dépouillé par Mercure », explique Guy Pierre Couleau, « et il s’agit bien de cela dans la pièce, de ce qui le fonde en tant qu’être humain : Sosie est dépossédé de son identité ». Molière évoquait ici sa propre expérience, et les nombreux obstacles sur son chemin de créateur tout au long de sa vie. « Lorsque Mercure frappe Sosie et l’empêche de parler, de se nommer ou encore de dire qui il est, c’est Molière qui fait l’autoportrait de l’artiste censuré, muselé ».
Quelques décennies avant l’avènement du Siècle des Lumières, la Raison remettant en cause nombre de croyances – et notamment la prétendue ascendance divine des rois -, « Molière […] démontre, par le rire et la comédie, que les dieux ne sont plus détenteurs de la vérité, puisqu’ils nous mentent », explique Guy Pierre Couleau. Ce dernier a aussi souhaité revenir à l’esprit des pièces à machines, lorsque des effets spéciaux – ou ce qui en faisait office à l’époque – étaient créés sur scène. Les technologies actuelles seront bien sûr utilisées ici, même si au plateau, ce sont « les acteurs et leurs corps, dans un jeu physique et burlesque » qui auront toute leur place.
– Dominique Demangeot –
Amphitryon, La Comédie de l’Est, Colmar, du 26 janvier au 26 février
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