ROMAN
Le Tripode
Parution le 12 mai 2022
Au commencement était le Verbe, peut-on lire dans l’Évangile selon Saint-Jean. Jouissance, c’est le verbe qui exulte. Dans son quatrième roman, Ali Zamir rend hommage non pas à la lecture, mais au livre lui-même, donnant voix à un ouvrage ballotté de casiers en caisses de carton, d’étagères en poubelles.
Le livre que nous avons entre nos mains mène en effet une existence pour le moins chaotique, témoin des petits bonheurs et des grands malheurs de l’humanité, ses travers également, croisant tour à tour une famille dissimulant de lourds secrets, un clochard ou encore un couple adultère. Le livre, lui, souhaite simplement être lu, mais il ne cesse d’être abandonné par les uns et les autres. Cependant ces pertes et ces retrouvailles lui permettent de rencontrer plusieurs êtres qui l’enrichissent et lui offrent des perspectives sur l’existence. L’auteur comorien dote le livre d’une parole propre, dénonçant également les dangers qui le guettent. Jouissance illustre l’intimité que lecteurs et lectrices peuvent parfois entretenir avec la littérature en général, et l’objet livre en particulier. Un juste retour des choses pour Ali Zamir qui aime à dire que les livres l’ont sauvé, enfant, lorsqu’il les dévorait à la bibliothèque de l’Alliance Française.
Jouissance ne s’embarrasse pas de points, d’où ce rythme haletant du début à la fin et cette prose poétique omniprésente. L’auteur, Prix Senghor du premier roman francophone en 2016 (Anguille sous roche, Le Tripode), offre à son livre-personnage une existence « riche de tragédies ordurières », mais cela ne l’empêche pas de parsemer son périple littéraire de mots précieux, tels « hourvari », « accortise », ou encore « embistrouiller ». Avec Jouissance, le mot prend donc chair, livre sensuel (il perçoit les odeurs et les sons autour de lui). Le lecteur prend cher aussi et avec lui, le livre n’est pas tendre ! Pourtant le livre a besoin du lecteur, comme le lecteur a besoin du livre, et Jouissance dépeint cette relation parfois fusionnelle, notamment avec Plume, la bien nommée, une enfant de sept ans. Il y a des livres dont vous êtes le héros. Ali Zamir a inventé le livre dont le héros est le livre lui-même.
– Paul Sobrin –
Retrouvez Ali Zamir lors du festival Livres dans la Boucle 2022 à Besançon (www.livresdanslaboucle.fr/)