ROMAN
Albin Michel
Parution le 1er février 2024
Lors des rencontres Clameur(s) 2024 à Dijon, du 14 au 16 juin dernier, nous avons rencontré Marion Brunet qui a évoqué pour nous son dernier roman, Nos armes.
L’histoire de Mano et Axelle est au cœur du roman. Quelle est leur relation ?
Mano, une femme d’une quarantaine d’années, apprend qu’une autre femme la cherche au village. À partir de là, les souvenirs vont remonter et on va avoir en alternance la parole de Mano à la troisième personne du singulier et le vécu d’Axelle, son amoureuse d’il y a vingt-cinq ans. On remonte à la fin des années 1990 lorsqu’un petit groupe d’amis engagé décide de prendre les armes et d’attaquer le Crédit Municipal pour financer la lutte avec un grand L. Ce braquage va très mal tourner et Axelle va tuer un policier et être incarcérée pendant vingt-cinq ans, alors que Mano va échapper à la police, à l’arrestation. Donc on va suivre ces deux solitudes sur vingt-cinq ans et cet amour brisé, ces deux trajectoires de vie brisées, l’une parce qu’elle est en prison, et l’autre parce qu’elle ne peut pas vivre avec cette culpabilité de ne pas être tombée avec les autres. Et cette douleur de cet amour naissant brisé dans son élan.
Avez-vous rencontré des détenues ou des surveillantes pénitentiaires pour écrire ce livre ?
J’ai rencontré des détenues, je n’ai pas eu le temps de faire des entretiens avec des gardiennes, en revanche j’ai fait un atelier d’écriture pendant plusieurs mois avec une camarade autrice de bande dessinée et à l’issue de ces ateliers où j’avais croisé plein de gardiennes et plein de détenues, j’ai demandé si certaines détenues de longue peine seraient d’accord pour s’entretenir avec moi autour de leur vécu, pas de leurs affaires, pour nourrir mon personnage d’Axelle et elles ont été super. J’ai eu trois longs entretiens avec des détenues, que je remercie d’ailleurs à la fin du livre, trois femmes très différentes, avec des vécus différents. J’ai vraiment pu avoir une lecture assez large de certains ressentis en prison.
Le roman présente deux visions de la famille : la famille biologique et celle que l’on se crée…
Il y a l’idée de famille en effet, mais au-delà de ça il y a vraiment l’idée du collectif et de ce que ça peut apporter, ce sentiment d’appartenance, et de se créer des nouveaux liens dans l’amitié, la famille choisie on va dire… Et comment on passe de cette conception collective du monde à un état de solitude, choisie pour Mano, et pas pour Axelle.
La question de la lutte est aussi centrale dans Nos armes…
Si on arrête de lutter, on meurt je pense ! Que ce soit intimement ou collectivement, j’avais évidemment envie d’interroger la question de la lutte, du choix de la violence légitime, légale… Pour autant je n’ai pas de réponses, j’avais plutôt envie de poser un certain nombre de questions, de raconter une histoire terrible, une sorte de tragédie humaine dans un contexte qui me semble important et essentiel.
Mano a beaucoup voyagé, Axelle est restée en prison pendant vingt-cinq ans…
Pour moi Axelle a bougé en prison ! Elle fait des rencontres, elle a des moments de dépression intense et des moments de joie avec l’arrivée d’une nouvelle bibliothécaire, qui permet aussi l’arrivée de romans. Il y a ce moment où elle est sauvée par la poésie, je pense que c’est deux parcours parallèles mais qui se répondent. Axelle rentre en prison, elle a 19 ans et elle va y passer plus de temps que de temps de vie libre… Le vertige est immense et on ne peut pas s’arrêter de vivre complètement. Au contraire elle continue d’avancer. Elle comprend presque mieux les méandres des réflexions politiques depuis qu’elle est en prison, donc pour moi les deux bougent, et les deux sont coincées !
Pouvez-vous nous parler du personnage de Charly ?
Oui, et surtout de sa relation avec Mano où pour moi ça parle aussi des petites lâchetés de la vie des deux côtés. C’est-à-dire que lui reste avec elle parce qu’il est fou amoureux, alors qu’il sait qu’elle ne l’est pas et finalement, il profite de cette situation où il va pouvoir la réconforter. C’est quand même assez pathétique pour lui, mais il s’en contente et fait avec ça en s’imaginant que d’autres choses vont être possibles, y compris avoir un enfant alors qu’elle a été très claire sur le fait qu’elle n’en voulait pas. Elle de son côté c’est pareil, elle l’utilise. C’est lui qui la sort un peu de cet état dépressif. Mais de la même façon, c’est un peu lâche de rester aussi longtemps avec un homme alors qu’elle ne l’aime pas, et qu’il lui apporte juste une sorte de réconfort inaccompli.