Stanislas Nordey portera sur le plateau du TNS De rerum natura de Lucrèce, six livres composant un grand poème antique où le philosophe reprend les thèses de son maître Épicure. L’ouvrage aura une influence sur nombre de scientifiques et de penseurs à travers les siècles, jusqu’à nos jours .
En réaction à l’assassinat de Samuel Paty, Christophe Perton a ressenti le besoin de retrouver la philosophie, et durant le second confinement d’octobre 2020, il s’est penché en particulier sur le texte de Lucrèce. Deux années ont été nécessaires pour affronter les 7400 vers de l’œuvre. La nouvelle traduction par Marie Ndiaye, effectuée conjointement avec Christophe Perton, tente de trouver le bon équilibre entre sens et prosodie, fond et forme. Lucrèce est le continuateur, quatre siècles plus tard, de la théorie d’Épicure. Puisqu’il n’existe que les atomes et le vide, qui composent les corps et le reste du monde, il faut vivre au présent sans craindre la mort ni les dieux (l’univers obéit à des lois physiques et non divines). Cette théorie n’est pas sans lien avec la fameuse loi de la thermodynamique apparue au XVIIIe siècle, selon laquelle rien ne se crée, tout se transforme. L’idée de cycle sans fin sera notamment symbolisée sur le plateau par un décor circulaire et en mouvement. Stanislas Nordey souligne par ailleurs le caractère intemporel de la parole de Lucrèce. « Tout ce que dit Lucrèce à son époque sur le cosmos, sur l’atome, le climat est époustouflant ; on a l’impression que certaines choses auraient pu être écrites hier. »
L’idée d’une Mère-Nature (et de la nécessité de vivre en communion avec cette dernière) est une autre ligne de force du poème, concept particulièrement d’actualité avec les enjeux environnementaux contemporains. « Au-delà de son rationalisme, le texte de Lucrèce porte tout autant sur la conscience que nous devons retrouver sur « les choses de la nature »», explique encore Christophe Perton. Le poème reflète également son époque avec les guerres civiles entre Rome et l’Italie, la guerre du Péloponnèse qui marque la fin de la République d’Athènes, et avec elle le déclin « d’une société fondée sur le partage, l’équité, la représentation du peuple au cœur des institutions politiques ». L’intelligence a cédé la place au « grand divertissement », tout comme la philosophie face à la religion et ses dogmatismes.
« Dans son poème, […] il décrit l’infini, l’absence de centre de l’univers − sur lequel s’est acharnée l’église catholique à l’époque de l’Inquisition. » Démarrée en plein confinement, c’est en toute logique que Christophe Perton fait débuter sa pièce sur… une épidémie (celle de la peste à Athènes), pour terminer sur l’avènement de la république d’Athènes, espoir politique et social. Les musiques entre pop électro et rock progressif d’Emmanuel Jessua et Maurice Marius, complices de longue date de Christophe Perton, accompagnent la voix de Stanislas Nordey, sur le principe de l’ostinato et de la musique répétitive, le metteur en scène envisageant d’ailleurs la pièce comme un oratorio. Deux mille ans plus tard, Lucrèce chante encore !
Dominique Demangeot
Les citations de Christophe Perton sont issues d’un entretien réalisé par Fanny Mentré, collaboratrice littéraire et artistique au TNS, le 14 avril 2023, celles de Stanislas Nordey d’un entretien réalisé par Fanny Mentré le 11 juillet 2023.
Évangile de la nature, Théâtre National de Strasbourg, du 13 au 21 décembre
https://www.tns.fr/%C3%89vangileDeLaNature