Rodolphe Darzens, jeune pigiste d’origine russe végétant au quotidien Le Gaulois, voit sa carrière subitement remise sur les rails (ou plutôt en selle) lorsqu’on lui propose de partir sur les traces de Rimbaud, qui a abandonné la poésie depuis une quinzaine d’années mais dont la légende demeure vivace. De Paris à Marseille, le journaliste tente de retrouver le poète-négociant, rentré d’Abyssinie une jambe en moins pour trouver refuge dans la ferme familiale.
Avec Brûlez tout !, Henry Guyonnet mélange faits réels et imagination, alternant les investigations de Darzens, qui ne manquent pas de rythme, et la retraite de Rimbaud à la ferme de Roche, moments plus sombres et contemplatifs. Ce dernier qui jadis exhortait ses lecteurs à l’action (« Sortez ! »), végète aujourd’hui dans les Ardennes familiales. Rongé par la maladie qui va l’emporter bientôt, il retrouve l’« atmosphère épaisse » qu’il avait voulu fuir onze ans plus tôt. Les références rimbaldiennes foisonnent bien évidemment dans cet ouvrage que l’on dévore comme une enquête. Qu’il s’agisse du langage du poète (la « daromphe » alias maman Rimbaud…), d’extraits de poèmes et de lettres, ou de ceux qui ont croisé son chemin (l’ex-communard Auguste Bretagne, Riès, dernier associé de Rimbaud négociant, l’incontournable Verlaine…), Henri Guyonnet s’est appuyé sur la vie du poète pour bâtir son roman, évoquant quelques jalons de son existence tumultueuse.
Après lui avoir laissé, un an auparavant, ses textes, les fameux vingt-deux poèmes inédits, Rimbaud ordonne désormais à l’éditeur Paul Demeny de tout passer au feu. Ce sont ces textes que Rodolphe Darzens retrouve, confiés par l’une des filles de Demeny. « […] [B]rûlez, je le veux, […] brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai », Rimbaud ordonne-t-il à l’éditeur. En 1871, Rimbaud brûle déjà les ponts derrière lui et quatre ans plus tard il abandonnera définitivement la poésie pour le négoce international, existence pour le moins éloignée de l’art. Rimbaud rebelle jusqu’au bout. Le journaliste et l’ancien poète partagent d’ailleurs un certain état d’esprit anticonformiste. La fougue du jeune Darzens, qui ne refuse jamais un duel, filant sur son vélo dans les rues de Paris, n’en rend les derniers jours de Rimbaud, albatros à qui l’on a coupé les ailes, que plus poignants.
Dominique Demangeot