POÉSIE
L’Iconoclaste – Collection L’Iconopop
Pendant plus d’un an, maisons et appartements ont été nos refuges, parfois nos prisons. Nos tanières, pour reprendre l’expression de Pauline Delabroy-Allard qui publie, dans l’acidulée collection Iconopop, un recueil de textes brefs écrits en deux temps, aux étés 2017 puis 2019. Saillies poétiques notamment inspirées par l’écoute de disques vinyles, l’autrice mettant en scène leurs pochettes dans des photographies.
Derrière les murs fatigués, parfois fissurés, à l’ombre des vieilles pierres sans âge, Pauline Delabroy-Allard écoute At the Côte d’Azur d’Ella Fitzgerald et Duke Ellington, et ça lui rappelle d’autres étés. Il y a France Gall. Il y a David Bowie qui ravive des souvenirs de Montréal, les Sex Pistols qui déchirent le voile du silence. Il y a du classique aussi. Dans sa maison-tanière et provisoire, Pauline est en transit, aspire au recueillement, une introspection que lui permet ce « pouvoir d’écrire ». Mais la vie est parfois aigre-douce, elle pique, ça saigne. C’est comme contempler une « vieille maman mammifère
qui cherche en tournant en rond
ses chatons noyés »
En cet été 2017, le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, Ça raconte Sarah, est en gestation. On perçoit dans Maison tanière les conditions d’émergence de la littérature. Une frustration. L’absence de la « reine de cœur » que Pauline préfère largement au King Elvis. Un manque qui pèse. Le clinquant des pochettes vinyles laisse place, à l’été 2019, à des plafonds pâles et défraîchis. L’autrice se confie alors sur la période qui a suivi le premier roman, le contrecoup de Ça raconte Sarah au succès si soudain. Quand la musique s’est tue, la voix se fait plus forte, jaillissant cette fois à la verticale, sous les hospices d’antiques plafonds, au sein de la maison qui rassure. On retrouve ces confessions parcellaires, comme regarder à travers des persiennes. Le corps allongé sur « un sol en pierres mauvaises » – ne pas se laisser engourdir par trop de confort -. Le corps comme en attente d’une résurrection, pause salvatrice pour se « remettre sur pieds ». L’envie peut-être aussi de disparaître provisoirement, abandonnée à la merci de la nature :
« faites un grand festin
les moucherons les petites araignées venez donc »
Dans ce concis journal saisonnier, Pauline Delabroy-Allard se livre dans la moiteur de deux étés, sans phares et sans fanfares – si ce n’est les airs jaillis de quelques vinyles -, prose poétique tissée de souvenirs, réflexions à chaud et associations d’idées. Comme la petite chatte tigrée, l’autrice retombe toujours sur ses pattes.
Marc Vincent