Le Tripode
Parution le 6 mai 2021
Printemps 2020. Dehors les arbres fleurissent mais il n’y a pas grand monde pour les voir. Enfermés dans leur premier confinement, les gens sont comme des fruits confits, image qu’a choisie Brigitte Fontaine pour qualifier notre immobilité printanière de l’an dernier. Douze mois plus tard, on est toujours à moitié-confits, et sort La Vieille prodige, recueil de deux textes savoureux, prose poétique douce amère, double variation sur le temps qui passe.
Coincée, claquemurée « Rue Saint-Louis en l’île », pour citer le titre de son album sorti en 2004, Brigitte Fontaine a mis à profit cet enfermement sanitaire pour produire de nouveaux textes, faute d’aller bambocher en concerts. Et ce qui devait être « une chanson probablement » comme elle le confiait au micro de France Culture en avril 2020, a finalement muté en un long poème en prose, un serpent de mots baptisé Les fruits confits. Mais l’enfermement pour cause sanitaire en appelle un autre, et Les fruits confits d’évoquer aussi une autre prison, la vieillesse et, pour Brigitte en particulier, un dos récalcitrant.
Alors l’artiste fait ce qu’elle sait faire de mieux, transcender tout cela et nous inviter dans son univers parallèle et surréaliste, un Pays des Merveilles à son image, où tout est foutraque de l’autre côté du miroir. La poétesse chanteuse évoque d’ailleurs de temps à autres quelques personnages de Lewis Carroll, comme la Tortue fantaisie ou le Lièvre de Mars, drôle de bestiaire qui ne dénote nullement dans un livre de Brigitte Fontaine. Cette dernière croise le fer avec la mort, le Big Bang avec « la bite à Dudule », son « Simili chéri » non loin de là faisant de brèves apparitions (bien involontaires) dans le poème. Comprendre ici Areski Belkacem, complice de Brigitte Fontaine à la vie comme à la scène depuis la fin des années 60.
« Zonzon se disait qu’il faut rester sauvage, sauvage comme les enfants ébouriffés et un peu sales »
Dans Les fruits confits, les souvenirs-fantômes sont là aussi pour aider à vivre, « et on courait et on courait et on mangeait des fraises molles, blanches et roses, succulentes ». L’artiste en quarantaine, affligée en outre par une double-quarantaine (elle roule à belle allure vers ses 82 ans), nous offre également un deuxième texte qui donne son titre au recueil à paraître le 6 mai prochain. La Vieille prodige semble nous parler une fois encore d’un double littéraire de Brigitte, avec la douleur comme trait d’union (ces « épines » christiques en couronne ou en collier qui percent les chairs). Zonzon est une artiste, violoniste à la jambe et la hanche en miettes, comme sa vie. Là encore c’est depuis sa vieillesse que nous parle le personnage. Un état de délabrement corporel auquel elle ne peut se résoudre, et lorsque le dernier plaisir qui reste est la cigarette, on tire dessus jusqu’à plus souffle.
Délaissée par une « vieille compagne », Zonzon affronte la solitude, d’autant que vivre est toujours une corvée, comme elle dit. Dans La Vieille prodige, la répugnance côtoie la grâce, et Zonzon a des envies d’échappées, alors elle crée, car créer c’est rêver. C’est fuir un ici-bas pas toujours captivant, voire franchement merdique. « Elle inventait, inventait toujours, plongeant et nageant, survolant les forêts et les rivières, les dômes, les clochers.» Les seniors « jetés aux orties » comme elle le chantait en 2009 dans Prohibition, très peu pour elle. « Vieille et enfant frais, oui c’est possible. »
Dominique Demangeot
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