ESSAI
L’Harmattan
On célèbre actuellement les 150 ans de la Commune de Paris, des semaines d’insurrection qui ont marqué l’histoire de France, deux mois et dix jours durant lesquels s’opposaient les partisans d’une démocratie directe et une Assemblée nationale, majoritairement monarchiste, issue du suffrage universel, qui venait de signer un humiliant armistice face à la Prusse. George Sand rejettera la Commune de manière ferme. Entre les espoirs déçus de 1848 et l’issue sanglante de mai 1871, serait-elle devenue réactionnaire ?
L’ancien administrateur du domaine de George Sand à Nohant connaît intimement l’œuvre de cette dernière, et pourtant c’est avec une certaine humilité qu’il aborde la question de la relation entre l’écrivain et la Commune de Paris. À l’image de son précédent ouvrage sur la romancière « en ses jardins », Georges Buisson s’avoue une fois encore « subjectif et personnel », et à de nombreuses occasions nous fait part de son incompréhension face à l’hostilité de George Sand à l’égard de la Commune, voire son manque d’empathie aux heures les plus sanglantes de l’insurrection. Qu’est-il arrivé à l’écrivain qui, en 1848, soutenait la Révolution, appelant de ses vœux « une République idéale qui fédérerait les différentes composantes sociales » ? Pour tenter d’expliquer ce « rendez-vous manqué avec la Commune », l’auteur prend notamment l’exemple de Nanon, l’un des derniers grands romans qui évoque à mots cachés la Commune de 1871 tout en situant l’action durant la Révolution française. L’héroïne en est une jeune paysanne, rappelant les combats féministes avant l’heure de l’écrivain. « George Sand devra en permanence conjuguer un double handicap: celui d’être une femme en littérature et de l’être en politique. Cela l’aide au moins à voir le monde différemment. » Prenant appui sur sa correspondance, son journal ou encore ses agendas, autre source précieuse, Georges Buisson nous fait part des espoirs puis des désarrois de George Sand.
« La romancière craint surtout de revivre la déception qui fut la sienne en 1848. L’anéantissement de la République sociale et fraternelle avait durement entamé son utopie politique. Pourquoi ne comprend-elle pas que la Commune partage les mêmes visées sociales et fraternelles que celles qu’elle défendait alors ? »
George Sand et la Commune de Paris est aussi l’occasion de rappeler les grands engagements de l’auteur. Cherchant l’émancipation pour les femmes en général et pour elle en particulier – elle parviendra ainsi à faire annuler son mariage -, George Sand exprime ses aspirations sociales dans ses romans, ses lettres mais aussi dans les pages des journaux à l’image de L’Éclaireur de l’Indre qu’elle fonde en 1844. L’auteur de La Petite Fadette sera de tous les combats : défense des mondes ouvrier et paysan, et foi en un « peuple uni ». Dans Le Péché de Monsieur Antoine, elle dénonçait les agissements d’un industriel qui (déjà) causait des dommages à l’environnement en détournant le cours d’une rivière. Depuis son refuge de Nohant dans le Berry, George Sand transpose dans ses romans une France rurale bien éloignée de la capitale, thématique encore d’actualité de nos jours. Et lorsqu’elle appelle de ses vœux « un ou deux hommes du peuple » à l’Assemblée nationale, cette notion de représentation populaire fait indéniablement penser à la récente crise des Gilets Jaunes. À d’autres moments Georges Buisson compare la désinformation durant la Commune – qui aurait brouillé la vision qu’en eut George Sand – avec celle à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Et lorsque dans La Revue indépendante, George Sand évoque « cette société malade et mourante d’inégalité », difficile là encore de ne pas faire la comparaison avec notre temps présent.