JAZZ/CLASSIQUE
Indésens
Sortie le 5 mars 2021
En juillet 2020, l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté enregistrait un poème symphonique de Guillaume Saint-James. Baptisée Symphonie Bleu (comme le bleu de travail), cette nouvelle création évoque le monde ouvrier, prenant une résonance particulière dans la ville de Besançon où elle a été enregistrée, avec notamment la lutte des usines Lip en 1973. Ici, le classique se mêle au jazz, le saxophoniste invitant également le trio qu’il forme avec Christophe Lavergne à la batterie et Emmanuel Bex à l’orgue.
Si cette Symphonie Bleu, sous-titrée « Une symphonie ouvrière », a été enregistrée au Conservatoire de Grand Besançon Métropole, ce nouvel album contient également Sketches Of Seven, que Guillaume Saint-James avait composé pour Didier Ithursarry, concerto pour accordéon interprété en compagnie de l’Orchestre national de Bretagne et enregistré en 2019. Le musicien breton était venu en Franche-Comté il y a quelques années défendre le projet Mégapolis qui mêlait déjà jazz (en sextet) et musique symphonique. Ce n’est pas non plus la première fois que le Victor Hugo mêle ses pupitres classiques au jazz, invitant notamment Andy Emler et Éric Truffaz à partager la scène.
Pour Symphonie bleu, Jean-François Verdier a laissé carte blanche au saxophoniste. « Guillaume est allé pendant longtemps enregistrer dans des usines, sur des bateaux, des quais, dans des horlogeries », explique le chef. « Tous ces sons vont se mêler dans une espèce de symphonie de bruit moderne, du monde actuel du travail ». Ce n’est qu’une fois que les parties de l’orchestre ont été enregistrées que Guillaume a inclus ces bruits récoltés, sans oublier, bien évidemment, ses parties de saxophone. « Le système du jazz fait que l’on improvise encore des choses, donc jusqu’à la fin, il y aura des choses qui vont changer ». Le directeur artistique et musical de l’Orchestre Victor Hugo compte bien porter prochainement la Symphonie Bleu sur scène. Un concert aurait dû précéder cet enregistrement, comme c’est toujours le cas avec la formation franc-comtoise, mais les restrictions sanitaires en ont décidé autrement lors de la saison 2019-2020. « Dans le jazz en général, ils enregistrent les choses en live si possible, mais avec des petits groupes. Avec un orchestre, on n’enregistre pas en live, et avec des grands groupes ! Là, on est un peu dans un entre-deux qui convient à tout le monde, donc on se retrouve facilement sur ce genre de terrain ».
Ce disque enregistré au long cours, entre octobre 2019 et juillet 2020, Rennes et Besançon, est un pont de plus jeté entre deux univers musicaux. Guillaume Saint-James ménage souvent dans ses projets des passerelles entre musiciens de jazz et classiques. « On a tellement à échanger et à s’apporter l’un l’autre. C’est un peu nos rôles à nous autres musiciens de faire tomber les a priori et les barrières », explique le saxophoniste que l’on a pu entendre aux côtés d’artistes aussi divers que Chris Brubeck, Albin de la Simone, composant également pour Branford Marsalis. La Symphonie Bleu se compose de cinq mouvements traitant de différents corps de métiers, et rend également hommage à des figures culturelles, de la littérature, de la musique et du cinéma, qui ont influencé Guillaume dans la préparation de l’œuvre. L’un des mouvements évoque d’ailleurs le temps, si cher à Besançon avec ses traditions horlogères et microtechniques.
On trouve notamment un mouvement sur Jacques Tati, que Guillaume Saint-James avait déjà évoqué avec le Tatiphone, entre jazz et vidéo. « Le message que je souhaitais mettre dans cette œuvre c’est que le travail n’est pas forcément quelque chose de pénible, mais que ce sont les êtres humains qui s’arrangent parfois à le rendre pénible », explique le compositeur. Avec l’hommage à Jacques Tati, Guillaume évoque l’après-guerre et les premiers congés payés, référence au film Les vacances de Monsieur Hulot. « Je suis vraiment heureux de créer ça à Besançon, à double titre. Il y a la famille Lip, l’histoire des montres et de la façon dont l’entreprise a été libérée lors des mouvements sociaux, et aussi la ville de Victor Hugo ». On trouve d’ailleurs dans la symphonie un mouvement sur la mer, dédié à l’auteur né (faut-il le rappeler !) dans la capitale comtoise en 1802, référence à son roman Les travailleurs de la mer. Dans le cinquième et dernier mouvement, dédié au Chaplin des Temps modernes, Guillaume insiste sur le sens du travail, en utilisant des procédés de musique répétitive. « La répétition est un terme qu’on voit énormément dans le monde du travail », souligne le compositeur. De l’aveu de son créateur, Symphonie Bleu n’est pas nécessairement une œuvre engagée, mais elle doit ouvrir des portes à la réflexion.