ROMAN
Éditions du Rocher
1873. Jenny Doussmann vit dans le Wisconsin avec ses parents, émigrés allemands exploitant une ferme, jusqu’au jour où ces derniers trouvent la mort de manière brutale, victimes collatérales de la grande crise financière qui frappe l’est des États-Unis. En compagnie de son frère Otto, vétéran d’une guerre de Sécession qui hante encore tous les esprits, elle part chasser le bison dans les Grandes Plaines pour démarrer une nouvelle vie. Ils sont accompagnés d’un ancien soldat confédéré, Raleigh McKey, et d’un indien métisse, Two Shields. Les Éditions du Rocher publient pour la première fois en France, dans leur collection Nuage Rouge dédiée aux Indiens d’Amérique du Nord, ce grand roman de l’auteur Robert F. Jones paru en 1996.
L’Agonie des Grandes Plaines, c’est tout d’abord une épopée, de celles qui se déroulent dans ce que l’on a coutume d’appeler l’Ouest sauvage, à une époque où les États-Unis deviennent une grande puissance, à mesure que se déploie le chemin de fer. Malgré la sombre, et parfois même effrayante description qu’en fait son frère, Jenny veut partir avec lui sur le territoire des bisons et des indiens. « L’Amérique est une terre bien dure » pense Jenny, qui n’est en effet pas au bout de ses surprises et surtout de ses désillusions ! Robert F. Jones (1934-2002) brosse le portrait d’une femme forte et déterminée. Il n’est nulle question ici de chasseurs du dimanche habillés en gilets fluos, tirant sur des sangliers sans défense, mais d’hommes et de femmes contraints de survivre dans un milieu pour le moins hostile, luttant contre les éléments et le relief, risquant souvent leurs vies lors de la chasse ou de luttes contre les indiens.
« La seule chose capable de menacer les rythmes immémoriaux des grands pâturages à bisons, c’était la civilisation »
Cette nature abondante que dépeint Jones, c’est aussi un formidable écosystème, comme nous le rappelle le romancier lors de descriptions lyriques d’une nature belle et sauvage, luxuriante lorsqu’on la laisse libre. Mais encore une fois l’homme vient bouleverser tout cela. L’agonie, c’est d’ailleurs aussi celle des tribus indiennes, décimées par l’homme blanc dans une lutte inégale. Sans idéaliser aucunement un camp ou l’autre, Robert F. Jones va rapprocher ces deux civilisations, ces deux cultures, union improbable s’incarnant dans le personnage du métis cheyenne Two Shields, qui jouera un rôle clé dans le destin de Jenny et son frère. C’est par son entremise que ces derniers (et le lecteur par la même occasion), vont apprendre à connaître la culture indienne.
Robert F. Jones, par ailleurs journaliste, s’est beaucoup documenté en vue de la rédaction de ce roman, y incluant de nombreuses descriptions, qu’il s’agisse de la vie quotidienne des Indiens, de l’histoire des États-Unis ou encore de la chasse au bison. Dans L’Agonie des Grandes Plaines, l’écriture de Robert F. Jones incarne avec brio la violence inhérente à l’Ouest américain, sa noirceur aussi, à l’image de ce chemin de fer jonché de squelettes de bisons, vision d’apocalypse. « Tout le monde parvenait à s’habituer à la laideur de la mort », écrit l’auteur, livrant une version sans concession de la vie des pionniers américains. Parcourir les plaines agonisantes, c’est enfin mieux comprendre ce qu’est l’Amérique d’aujourd’hui, et le terreau de violence sur lequel elle a prospéré.