BLUES
Alligator Records/Socadisc
Le dixième album de Shemekia Copeland, Uncivil War, est en lien direct avec l’actualité américaine. Le blues n’a rien perdu de sa dimension contestataire dans ce qui semble être à ce jour son disque le plus en prise avec l’actualité, la chanteuse évoquant ici les violences raciales, l’argent ou encore les armes en vente libre sur le continent américain. Une conscience sociale qui pointait déjà sur America’s Child en 2018, et qui s’est encore développée sur Uncivil War.
Produit par les guitaristes Will Kimbrough et John Hahn, Uncivil War accueille plusieurs invités de marque, de différentes générations, du tout jeune et déjà étonnant Christone Kingfish Ingram, au mythique Steve Cropper qui a contribué à forger le son des écuries Stax, grand collaborateur d’Otis Redding, et qui pleure ici un magnifique solo de guitare sur la reprise In The Dark. Si Shemekia Copeland a désormais dépassé la quarantaine, son aura en France reste encore mince. Alors en ces temps de reconfinement, allez donc jeter une oreille à Uncivil War. Vous y entendrez sur la chanson titre le dobro de Jerry Douglas (Allison Krauss Union Station) et la mandoline de Sam Bush, expert bluegrass. C’est l’occasion de noter que le répertoire de cette brillante chanteuse s’est étendu du côté du folk également, même si ce dernier album demeure dans une veine très électrique. Enregistré dans la capitale de la country, Nashville, Uncivil War se décline en influences diverses, du blues traitant de l’esclavagisme, Clotilda’s On Fire en compagnie d’un jeune et fier représentant de la country moderne, Jason Isbell, jusqu’au manifeste anti-armes, rock sudiste et bien graisseux (Apple Pie And A. 45), en passant par le chaleureux gospel Walk Until I Ride. « I’m gonna keep my head held high », chante Shemekia, comme une allusion aux nombreuses marches effectuées ces derniers mois, dans le sillage des grandes manifestations des années 60 aux États-Unis. L’histoire bégaie.
Shemekia Copeland n’oublie pas de faire un petit détour par la Louisiane pour un clin d’œil à Dr John, disparu récemment, auquel elle rend hommage sur Dirty Saint. La chanteuse attaque également de front le très vieux morceau Under My Thumb des Stones, paru sur Aftermath, au message pas très #metoo (« Sous mon pouce, une fille »… vous aurez compris), qu’elle reprend à son compte et passe au masculin « Under my thumb, the guy who once had me down ». Plus loin, She Dont Wear Pink joue dans la même catégorie, évoquant la question du genre. On y retrouve d’ailleurs le twang de la guitare de Duane Eddy (82 printemps au compteur) ainsi que Webb Wilder. Parmi les reprises citons encore celle, presque indispensable, de papa Johnny, Love Song qui clôt l’album, et nous rappelle que Will Kimbrough n’est pas un manchot non plus lorsqu’il faut sortir la six cordes.