ROCK
4AD/Beggars
Non, Songs For The General Public n’est pas la réédition d’un album sorti dans les années 70 ou 80. Malgré son esthétique vieillotte, les nuques longues et les vêtements slims, la pochette nous présente bien deux frangins nés au XXIe siècle ou presque, Brian et Michael D’Addario, âgés respectivement de 23 ans et 21 ans. Comme on peut le lire sur les notices des masques que l’on achète en ce moment, cet album n’est ni un dispositif médical, ni un équipement de protection individuelle (EPI). Mais à défaut de protéger vos poumons du méchant virus, Songs For The General Public cajolera vos oreilles en mal de positivité. Un disque qui pourrait bien vous mettre la patate et vous aider à passer cette fin d’année virale sans trop d’encombres.
Sur Hell On Wheels, les nappes de cordes (synthétiques) le disputent au chant emphatique de rockeurs un peu déglingués. Voilà un album qui commence cavalièrement ! Le reste de la galette est au diapason, une nouvelle production de la part du groupe originaire de Long Island, qui prend des atours farouchement pop comme l’illustre l’optimiste (dans le titre comme dans la partition) Live In Favor Of Tomorrow. Une chanson qu’aurait pu enregistrer le pailleté Elton John au milieu des années soixante-dix, période Goodbye Yellow Brick Road. Difficile en effet de ne pas enchaîner les références sur cet album qui est clairement une somme de plein de belles choses passées par nos radios ces cinquante dernières années, du rock’n’roll au glam en passant par la bluette sucrée. The Lemon Twigs n’ont pas perdu leur goût pour le vintage américain. The One contient même… un solo de guitare (même deux). Le duo nous rappelle aussi parfois ces groupes qui savaient si bien nous parler de nos amours adolescentes un peu parties en vrille (Fight et ses chœurs sous acide), tandis que de l’autre côté de l’échelle de la libido, Leather Together glorifie le cuir sur un rock’n’roll cradingue, le chant hésitant entre le libidinal et le punk hirsute.
Il est vrai que plus rien ne devrait nous étonner de la part d’une fratrie dont le deuxième album il y a deux ans, l’opéra rock Go To School narrait très tranquillement les aventures… d’un chimpanzé allant au lycée. On aurait tendance à l’oublier en tendant une oreille distraite vers Songs For The General Public, mais Brian et Michael, sous leurs airs de sales gosses, possèdent un talent inné pour la mélodie qui fait plaisir et les arrangements qui vont avec (comme l’illustrait aussi le premier album en 2016 Do Hollywood, déjà bien azimuté). Les deux frères surdoués le prouvent une fois encore sur ces douze nouvelles chansons, même s’ils prennent leur parti du seizième degré sur absolument tous les titres. Leur pop solaire, The Lemon Twigs la parsèment de sonorités foutraques, de claviers stridents, de chœurs éméchés. Moon sonne comme un bon vieux Springsteen des familles (joué certes en fin de soirée après quelques whiskys de trop); Only A Fool se présente à nous en roue encore plus libre (si si c’est possible), morceau cependant plus technique qu’il n’y paraît aux arrangements bien fichus et aux gimmicks de guitares aigrelets.
Hog est une fausse ballade ABAesque qui semble vouloir concourir pour l’Eurovision, alors que Somebody Loving You pastiche les arrangements chargés de Queen. Why Do Lovers Own Each Other ?, fausse comptine aux vrais airs de fête foraine sur le sentiment amoureux – et finalement bien barrée elle aussi -, nous confirme que l’on a affaire à deux sacrés zozos qui aiment la déconne mais qui le font (très) bien. Quant vous aurez écouté la dernière piste, Ashamed, oscillant entre chanson pas finie et démo douteuse (le tout enregistré dans un sous-sol mal insonorisé), vous n’aurez qu’une envie, c’est aller rencontrer les frangins D’Addario sur scène pour apprécier sur pièces le phénomène.