POP
Columbia / Sony Music
« Je ne veux plus écrire les peines que le féminin m’a fait ». Les choses sont claires. Exit les chagrins d’amour mis en mots et en musiques, les tourments intérieurs. Aimée marque le passage de l’intime au global, au sens de planétaire. Le chanteur blond veut nous parler de notre planète sur ce cinquième album insulaire.
Aimée, c’est le prénom de la mère et de la grand-mère du chanteur, quasi-centenaire. La grand-mère, pas Julien Doré. Lui n’a que 38 ans mais ressent déjà le besoin de regarder dans son jeune rétroviseur, depuis ses Cévennes chéries, et constate qu’il reste peu de choses pour rêver, comme il le chante joliment en duo avec Clara Luciani, sur l’ultra nostalgique L’île au lendemain. Les artistes eux aussi, peuvent être des lanceurs d’alerte (« Un doigt ça se lève et ça vise toujours celui qui sait pourquoi »). Julien Doré a été végétarien et concerné par le climat avant que cela ne devienne à la mode sur les réseaux sociaux. Mais étrangement, prendre fait et cause pour la planète, ça a ses limites dans la société de 2020, car cela suppose de fustiger les habitudes d’Instagram, les M’Bappé et autres stars qui ont « pris la pose ». On connaissait l’amour de Julien Doré pour le monde animal, lui qui reprenait, en pleines arènes de Nîmes, La Corrida de Cabrel. Il persiste et signe sur Aimée, histoire de dénoncer les miroirs aux alouettes (tiens, encore des animaux). Pour cela il a ses armes à lui, son talent d’auteur compositeur et son humour qui sévit depuis sa première apparition à la Nouvelle Star en 2007. A notre époque creuse où l’on tend à placer sur le même plan dérèglement climatique et style capillaire, quelques artistes sont heureusement encore là pour mettre le doigt là où ça fait mal.
Aimée reste dans une veine pop, mais Julien Doré semble avoir pris un (petit) virage en resserrant ses compositions pour aller à l’essentiel. Les chansons d’amour (contrariées), on en trouve tout de même quelques-unes, même si le chanteur semble regarder davantage l’avenir que son propre présent. « Et puis au pire on sème ce qu’on ne verra pas », chante-t-il sur La bise (qui résonne étrangement en ces temps hygiénistes). Ce besoin aussi de retourner à un état d’innocence comme semblent l’illustrer les nombreux chœurs d’enfants sur l’album, joliment interprétés par les deux filles de Julien Noël, pianiste de Doré. Les claviers et les programmations se taillent la part du lion (en liberté dans la savane, hein), si ce n’est un solo de gratte sur Waf, ou quelques nappes de cordes sur Lampedusa, qui évoque le destin des migrants. On pense souvent à la synth pop d’une artiste comme Angèle, tout au long de ces onze titres. C’est d’ailleurs Tristan Salvati, qui officiait aux manettes du Brol de la jeune chanteuse belge, qui s’occupe de la production sur Aimée.
Julien invite Caballero & JeanJass pour une version rappée de Barracuda (Bla-bla-bla), un morceau qui détonne nécessairement sur cet album tout en finesse. Pour tout vous dire, on ne l’a pas écouté une deuxième fois, Bla-bla-bla, quand il a fallu revenir sur Aimée (on n’est pas masos non plus). Mais de la part d’un chanteur formé aux beaux-arts, pour qui le décalage est un moyen d’expression, cette chanson a finalement aussi sa place sur le disque. Toujours du côté des duos décalés, avec Simone et Jean-Marc, ses deux chiens, Julien Doré fait rimer tranquillement amour et pastaga. Et puis de toute façon, on est vite rassurés lorsqu’Aimée se clôt sur une version dépouillée de Barracuda, qui rappelle la délicieuse tournée piano-voix que Julien Doré avait offerte à ses fans en 2018, un Vous et Moi Tour qui avait remis les pendules à l’heure et démontré la qualité d’écriture du bonhomme. S’il est exilé loin de Paris, Julien Doré n’a pas rompu le lien avec ses fans et il se pourrait qu’Aimée les rapproche encore davantage.
Dominique Demangeot