ROMAN
L’Iconoclaste
Sortie le 19 août 2020
David Le Bailly, remarqué pour son premier roman-enquête en 2014, La Captive de Mitterrand, se penche aujourd’hui sur le cas Arthur Rimbaud, mais en déportant le regard pour nous parler surtout de son frère, « l’autre », Frédéric, le disparu de la photo.
Comme Anne Pingeot, mais pour des raisons bien différentes, Frédéric Rimbaud brille avant tout par son absence de l’histoire officielle. D’où cette enquête minutieuse menée par David Le Bailly, journaliste à L’Obs, afin de réhabiliter, près de 110 ans plus tard, le frère oublié. Le roman débute le jour de l’inauguration d’un buste en hommage à l’artiste disparu, dans sa ville natale de Charleville-Mézières. On célèbre le poète jadis maudit. Frédéric lui, est présent mais refuse de prendre part au roman familial élaboré autour de l’illustre cadet, selon la thèse de David Le Bailly. Pourquoi cette distance entre Frédéric et le reste de sa famille ? L’auteur enquête sur les circonstances de cet évincement. L’ouvrage pourrait constituer une enquête journalistique des plus sérieuses et documentées. Il l’est d’ailleurs aussi, une investigation étayée par de nombreux témoignages, archives et autres documents.
Seulement voilà, il y a bien écrit «roman» sur la couverture. L’auteur s’immisce même de manière directe entre les chapitres et s’y livre comme ne le ferait pas un journaliste, dressant un parallèle avec sa propre expérience. Peut-être une manière de brouiller les pistes, entre fiction et faits avérés, pour mieux nous parler des mythes que l’on édifie ? Dans la dernière partie de sa vie, Arthur Rimbaud délaisse la poésie pour le négoce, davantage occupé à garder le peu d’argent qu’il parvient à gagner. Une seconde existence moins glorieuse, loin du monde littéraire, en dépit des efforts de sa sœur Isabelle et son époux pour bâtir la légende arthurienne. Réhabiliter le frère rayé du paysage, c’est donc aussi égratigner quelque peu le vernis du poète. «Au visage romantique des années de jeunesse s’en était substitué un autre, râpeux celui-ci, sévère, joues creusées. Mort, le poète !». Le vrai Arthur Rimbaud ne disparut-il pas un peu lui aussi, en raison de la mainmise familiale sur sa postérité comme le soutient l’auteur ? Pas question par exemple, dans cette famille de pieux catholiques, d’évoquer les frasques d’Arthur avec Verlaine, cet autre « formidable feuilleton littéraire et sentimental » qui, selon eux, faisait tache, un peu comme Frédéric sur la photo.
»Par un curieux phénomène, l’aîné, pourtant resté à Roche, avait été déchu, quand le cadet, exilé au bout du monde, occupait avec majesté la place de dauphin »
David Le Bailly dépeint avec brio les relations houleuses entre Frédéric et sa mère, évoque l’absence du père militaire, pour qui Frédéric nourrit à la fois crainte et fascination. Quant à la famille (et surtout les secrets de famille, ces non-dits que l’on se repasse de génération en génération), il s’agit d’un sujet suffisamment universel pour parler à tout un chacun. Chez les Rimbaud, ça ne rigolait pas tous les jours, surtout du côté de la mère, Vitalie, quittée très tôt par son époux, propriétaire terrienne déterminée, menant d’une poigne de fer famille et affaires. Arthur sera l’unique électron libre, porté par son génie poétique qui l’éloignera de ses Ardennes natales. David Le Bailly excelle aussi à dépeindre ce monde rural d’où sont issus les Rimbaud, pur produit de cet environnement austère, comme frappés d’une malédiction, «[c]omme si, dans cette fratrie, tous avaient été condamnés au replis, à la solitude».
Retrouvez David Le Bailly à la rentrée au salon Livres dans la Boucle (www.livresdanslaboucle.fr)