Durant la saison, Viadanse, Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort, invite des chorégraphes à mener des ateliers auprès de publics divers. Parmi ceux-ci, les établissements scolaires tiennent une part importante. Vendredi 3 février, trois femmes artistes, issues du Maghreb et vivant aujourd’hui à Lyon, Belfort et Paris, ont partagé leurs expériences de créatrices évoluant entre deux cultures, auprès de 180 lycéens.
C’est dans le cadre des Chemins vers la danse, actions d’éducation artistique en partenariat avec les classes Options Danse du Lycée Cuvier de Montbéliard, que ces rencontres ont eu lieu. Mais les trois séances du 3 février dernier étaient un peu particulières dans la mesure où les élèves étaient invités non pas à danser, mais à découvrir les parcours de trois femmes artistes originaires de Tunisie. S’il fut tout de même question de danse, en lien avec les travaux des trois intervenantes, l’intérêt était avant tout, pour Sylvie Costa, professeur de danse au lycée Cuvier, de proposer un moment de partage. Partage d’expérience. Partage de cultures. « À la connaissance d’un certain nombre de petits incidents internes au lycée qu’avaient pu évoquer mes élèves, de leur difficulté aujourd’hui, en 2017, de se mettre en jupe pour aller au lycée par exemple, des actions avaient été menées au CDI avec des élèves du conseil de la vie lycéenne ». À travers le théâtre, ou encore la venue d’un groupe féministe, l’objectif était de libérer la parole et d’évoquer des questions de société comme la place de la femme dans le monde professionnel ou la sphère privée, l’accomplissement en tant qu’artistes, les relations hommes/femmes… Sylvie Costa a tout naturellement souhaité associer la danse à cette entreprise de libération de la parole, « apporter un regard plus ouvert et non pas clivant », a encore expliqué le professeur. L’objectif est aussi d’évoquer sous un autre angle les problèmes en lien avec la religion, qui sont habituellement abordés en histoire ou via la littérature. « C’était intéressant d’avoir à la fois des artistes, une jeune femme universitaire qui avait aussi abordé la danse dans son parcours, et de les faire témoigner de cette destination vers leur métier actuel d’artiste, d’universitaire ou des deux, et de pouvoir aussi parler de leur rencontre entre deux cultures ».
Héla Fattoumi, co-directrice de Viadanse avec Éric Lamoureux, a tout de suite été intéressée par la démarche. « Quand Sylvie m’a parlé de cette problématique, ce qu’elle sentait poindre et qui s’enkystait dans la vie du lycée, bien évidemment pour moi c’était un oui quasi immédiat et toute la question était : quelle forme ça allait prendre ?« . Héla a souhaité évoquer son parcours, depuis la Tunisie d’où elle est originaire, le monde arabe auquel elle est très attachée, pour évoquer la place des femmes à travers son histoire personnelle. Elle a convié à ces rencontres Aïcha M’Barek, de la compagnie Chatha, artiste associée cette saison à Viadanse avec Afiz Dhaou. Héla trouvait nécessaire de donner à entendre une histoire positive, dans un contexte tendu autour de l’Islam, et de la stigmatisation qui s’est faite jour en France ces dernières années. Mariem Guellouz, chercheure et danseuse/performeuse, à quant à elle évoqué son rapport à la danse traditionnelle orientale. « La question de la binationalité se pose aussi pour nous », remarque Mariem qui soulève aussi la question du corps, « le corps de la femme sur la scène, dans l’espace public ou dans le foyer intime ». En tant que sociolinguiste, cette dernière s’intéresse aussi aux discours sur ce corps, « lui-même un objet de construction politique, et encore plus le corps de l’artiste quand cet artiste est une femme ». Pour Mariem, les formes de violence ne résident pas nécessairement où l’on pourrait le penser. Les problèmes de jupes et de voiles ne sont que les symptômes. « La question est beaucoup plus sociale, politique, dans des rapports de pouvoir, avec ces enfants qui voient leurs parents travailler 24h sur 24, être exploités, souffrir du racisme », explique Mariem. « La question se pose dans l’exploitation des corps, l’exploitation des classes et c’est peut être en travaillant sur ces formes d’injustice là et sur les stigmatisations racistes, qu’on pourra résoudre les problèmes de la jupe et du voile ».